"Gaspard de la Nuit" illustré par Emile Benassit et Lucien Pillot



Nathalie Ravonneaux, chroniqueuse bertrandienne avertie de la revue « La Giroflée », ayant récemment attiré mon attention par son article intitulé : « L’édition de « Gaspard de la Nuit » illustrée par Emile Benassit et Lucien Pillot, conservée à la bibliothèque patrimoniale et d’étude de Dijon » - ouvrage non répertorié par H. H. Poggenburg -, et Martine Chauney-Bouillot, conservateur de la bibliothèque - à l’accueil toujours aussi exceptionnel (Cf. les remerciements de Jacques Bony pour son édition )- m’ayant autorisé les prises de vues, en voici quelques-unes non légendées qu’il sera amusant de rapporter aux poèmes :












Cet ouvrage est une édition Pincebourde 1868 illustrée par des aquarelles originales de Benassit et Pillot pour Henri Breuil, chocolatier de son état, et bibliophile, collectionneur dijonnais.

Un Epinalien



Comme nul ne peut plaire à tout le monde, voici une critique sévère de Georges Saint-Clair (Jean Bégarie) parue en novembre 1957 dans la revue "Le Pont de l' Épée" ( n°1 - spécial Aloysius Bertrand ). Guy Chambelland, directeur de la publication, n'y est pas beaucoup plus tendre avec Louis ; on se demande même pourquoi il lui a consacré le numéro spécial inaugural.




"J’ouvre Aloysius Bertrand et sa poésie m’apparaît tout d’abord comme ces planches de couleur que l’on donne aux enfants pour le découpage. Rien n’y bouge de cette vie dont, vers la même époque, Maurice de Guérin gratifie son Centaure. Pas de larges cadences qui soulèvent, mais des rythmes étroits qui ne manquent pas tout de suite de créer un malaise. Rien que des tableautins secs et durs où nul souffle intérieur, nul paraphe de l’âme ne viennent, tout à coup, défaire ou animer un équilibre de carton-pâte : oui, si je songe aux fantoches qui les peuplent, je ne vois qu’un mouvement arrêté…analogue à ces reconstitutions pour enfants ( villages, ports ou gares) que nos magasiniers imaginent, dans les jours de Noël.

Un second grief, c’est que l’on chercherait presque en vain dans Aloysius Bertrand une page dont les couleurs par leurs oppositions marquées, ne s’assimilent à celles de quelque image d’Epinal. Dans un poème comme Harlem, par exemple, l’eau est bleue, les toits sont verts, le linge blanc éclate au soleil, et comme de l’or y flamboient les vitrages. Et que la lune s’élève au ciel de « Gaspard de la Nuit » , ce n’est plus la magicienne qui, dans Châteaubriand, prépare au sein des mélopées les plus savantes nos mélancolies et nos fièvres, ni comme dans Hugo, l’enchantement d’une fête bleue où la raison se fait si tendre qu’elle se marie au souvenir, mais le vulgaire Louis d’or d’une vignette du Jeu de l’Oie. Quel mauvais goût dans la plénitude, quelle charge dans la couleur rutilante, et comme on préférerait quelques-uns de ces traits d’or et de sanguine à quoi son contemporain Gérard de Nerval su réduire un peu plus tard les clartés lourdes de l’Orient !





Un troisième et dernier grief, qui contribue plus encore à faire de ces poèmes une image d’Epinal, ce sont, qui les remplissent, les noms particuliers des choses, archaïques, exotiques, techniques. Il y a là par endroits, un tintamarre de bric-à-brac incompatible avec ces mots amis du rêve dont on a dit qu’ils « ouvrent des chants divins sous les ténèbres » - et quand on les prononce, c’est aussi comme un digne frisson et comme une sorte d’élargissement inconnu qui nous pénètre. On n’est jamais chez Aloysius Bertrand que dans le grand bazar romantique, au lendemain du Pas d’arme du Roi Jean. Désormais le connaisseur évaluera la richesse d’un écrivain à ses étalages de mots concrets, pittoresques, précis, à ses éventaires multiples. Le souci majeur de tout artiste sera de faire rutiler sans cesse l’exotisme de sa queue de paon, et le temps n’est plus loin où nous lirons dans « Salammbô » (le plus long poème en prose du siècle, non, j’oublie « Les Martyrs ») des phrases de ce genre : «  Le Chef des Odeurs offrit au Suffète, sur une cuiller d’électrum un peu de maolâtre à goûter ; puis avec une alène, il perça trois besoars indiens ». Où est ici le « ton augural », le mot qui nous émeut si profondément dans sa simplicité puissante que, tout à coup, nous nous arrêtons dans notre lecture, attentifs à le voir ( ou à l’entendre) rendu par « le miroir de l’âme » ? Un poème est manqué lorsque son étroitesse de sens est telle qu’elle interdit à notre esprit les longues résonances et l’enveloppement perdu des labyrinthes.





Le pittoresque et la couleur dont regorgent maints passages de Rousseau, de Bernardin de Saint-Pierre, de Châteaubriand, avaient tellement ravis leurs contemporains et leur étaient apparus comme provoquant si merveilleusement un envol spontané des rythmes qu’ils stimulèrent sans aucun doute un Aloysius Bertrand à concevoir, analogues à ces pages, des pièces qui, détachées de tout ensemble, se suffiraient à elles-mêmes. Le danger était là, dans la recherche excessive et bornée de l’expression exotique et concrète - dans l’abus de n’être qu’un œil. Regrettons qu’Aloysius Bertrand n’ait jamais compris, si nécessaire au poète, l’utilité de l’union mystique du sujet et de l’objet. Et, selon le mot de Novalis sur Lessing qu’il ait eu : «  la vue trop nette, perdant ainsi le sentiment de tout indistinct, l’intuition magique des choses. »

Ici, un héraut sonnait de la buccine



"Cependant un héraut sonne de la buccine sur la tour du logis-du-duc. Il signale dans la plaine les chasseurs lançant leurs faucons....".

Aujourd'hui, l'observateur voit tout aussi loin mais la ville a gravi quelques coteaux vineux et s'est étalée paresseusement dans la plaine. Le "Maçon" n'y verrait toujours pas la beauté universelle.


Saint-Bénigne et Saint-Philibert

Saint-Jean


Sainte-Anne


le Palais de Justice


Notre-Dame


Jacquemart depuis la Tour Philippe le Bon


Découvertes



Quel plaisir pour l'amateur de découvrir aux Archives de la Ville de Dijon des documents originaux signés des mains de Louis et de sa mère. Bien sûr, rien de très nouveau puisqu'il s'agit des talons des passeports  intérieurs à lui délivrés par la Commune de Dijon à l'occasion de ses voyages à Paris. Ils permettent néanmoins de relever certaines informations :

Sur le premier, délivré le 3 novembre 1828 sous le numéro 1068 (Archives de la Ville de Dijon - cote 2 I 122), Louis est enregistré sous les prénoms de Jacques, Ludovic ; il mesure un mètre soixante quinze ( cinq pieds quatre pouces), a les cheveux châtains, le front étroit, les yeux gris, la bouche moyenne, le visage ovale et le teint blanc.








Sur le second, délivré le 31 décembre 1832 sous le numéro 70 ( Archives de la Ville de Dijon - cote 2 I 124 ), il mesure une mètre soixante dix ( cinq pieds trois pouces), a les cheveux châtains, le front ordinaire, les yeux bruns, le nez grand, la bouche moyenne, le visage ovale, le teint ordinaire. On note spécialement qu'il est enregistré sous les prénoms de Ludovic ( rayé ), Jacques, Alophius, Napoléon et qu'il est exempté de la classe 1828.




 La comparaison des deux permet d'observer que non seulement Louis, toujours étudiant, a perdu quasi autant de centimètres qu'il a pris d'années mais aussi qu'il utilisait officiellement dès 1832 le prénom d'Aloysius ( Alophius - orthographe du commis aux écritures), démentant ainsi l'affirmation de Cargill Sprietsma selon laquelle : " Nous sommes forcé de constater que Bertrand se servit rarement de ce nom. Nous ne le trouvons en effet que sur les registres de l'hôpital de la Pitié et au bas de quelques vers datés de 1840", les "Oeuvres Complètes" d'H. H. Poggenburg ( 18 septembre 1838 : " Il est porté sur les registres sous le nom de Bertrand, Jacques Aloysius ; c'est la première fois qu'on trouve ce nom sous lequel il sera désormais connu" ), et théories subséquentes. Quant à savoir si les initiales de signature des articles de presse ("JL") correspondent à " Jacques Louis" ou "Jacques Ludovic", la question est plus délicate. Inclinons  pour "Jacques Ludovic".