Cîteaux



De Cîteaux ( ICI),  abbaye fondée en 1098 (autour du 20 mars) par Robert de Molesme sur des terrains boisés et marécageux ( Cîteaux vient de cistel(le)  = jonc) donnés par le vicomte Raynard, son cousin,  il ne reste quasi rien. Plus de basilique abritant, entre autres, les sépultures de soixante ducs et duchesses de Bourgogne de la première race - de Eudes I à Philippe de Rouvres - (Capétiens), plus de déambulatoires ombreux, plus de scriptoriums hantés de présences laborieuses, plus de manuscrits magnifiquement enluminés ( 7 à 800 selon Courtépée dont 312 maintenant à Dijon ), mais la trace affligeante d'un immense crime contre la culture et l'histoire. Ne subsistent aujourd’hui qu’une partie de la bibliothèque ( les murs - 4 418 volumes ont été enlevés le 3 mai et 1 018 le 6  mai 1791 ) et le noviciat (mauvais état). L'ensemble, immobilier et mobilier, a en effet été vendu comme bien national courant 1791 puis démantelé et dispersé. Les derniers moines eux-mêmes quitteront les lieux le 10 mai 1791 pour n’y revenir que le 10 octobre 1898.



Basilique et bibliothèque (dessin de Martelange)


la bibliothèque ( à gauche, une extension du XIX°)






Citeaux en 1719 ( en bas, à gauche, le noviciat)




le noviciat (aujourd'hui)




un pignon du noviciat


En évoquant Cîteaux en ces termes  : " Une brume grisâtre lui dérobe au loin l'abbaye de Cîteaux qui baigne ses bois dans les marécages", Louis exprime non seulement une réalité physique mais aussi sa tristesse devant cette brume de cendres levée par les terribles excès révolutionnaires. On ne peut que s'en désoler avec lui.



Un des étangs des Moines



Marques d'éditeurs



Dans le dernier paragraphe de " A M. Victor Hugo" Louis compare la future exhumation de son livre par un bibliophile à " une trouvaille non moins précieuse que l'est pour nous celle de quelque légende en lettres gothiques, écussonnée d'une licorne ou de deux cigognes." Jacques Bony ( édition "GF Flammarion" ) ajoute en notule que la licorne était la marque du libraire éditeur parisien Thielman Kerver (14..-1522 - enseigne : "à la licorne") et, sur indication de Jean Céard, les cigognes celle de son confrère Sébastien Nivelle (1523-1603 - enseigne : "aux deux Cigongnes"). Quand on sait l'amour de Louis pour l'objet-livre, nul doute possible sur la validité de ces références. Les voici :







Un petit air de Rommelpot




Le rommelpot, évoqué dans "Harlem" ( "et le vieillard qui joue du Rommelpot") est un petit tambour à friction. C'est lui qu'on entend en accompagnement.

Le Diable



Le diable qui, selon ses propres dires, n'existerait pas - fin de la première préface - n'en est pas moins populairement supposé résider ici ou là, à la "Roche à la Bique" ou à la "Pierre Fendue", à l' "hermitage" ou aux "Portes du Diable".

D'ermitage point à la "Combe du Diable" - parallèle à la Bertrand - à deux pas de Notre-Dame d' Etang  ( sauf à lui concéder l'ensemble du vallon, bicorne à son sommet ).




Il est, par contre, bien présent aux "Portes du Diable", dans la "combe Champ-Moron", sous le "Bois de l' Hermitage". Incertaine est cependant sa rencontre ici avec Louis car les éléments de maçonnerie ( pouvant provenir de l'ancien hôtel Bernardon abattu par la ville de Dijon en 1758 ) ont été remontés solitaires en lisière du domaine "Champ-Moron" à une date inconnue.




les portes du diable



le diable (sous le linteau - zoomer)


(Pour une étude sur le diable : " Le Diable dans la littérature française de Cazotte à Baudelaire" de Max Milner - Corti - 1960)

André Hardellet (1911-1974)



Parmi les artistes contemporains, André Hardellet, auteur du poème intitulé "Le Tremblay", chanté par Guy Béart  ( "Si tu reviens jamais danser, Chez Temporel, un jour ou l'autre...") a toujours tenu "Gaspard de la Nuit" pour l'un de ses livres préférés et pour "une clé de la poésie moderne". Il s'en était ainsi ouvert à Fernand Rude : " Mon émerveillement est resté le même. Ce livre n'a pas une ride, il se situe hors du Temps. Et j'éprouve toujours l'impression de toucher là au mystère le moins exprimable de la poésie". Mots singulièrement justes balayant nombre d'analyses réductrices.







Un de ses poèmes tiré de "Sommeils" ne sera pas sans en rappeler un autre signé Bertrand :


 
Le poseur de grillon


Immobile, ravi, je me tenais près de la cheminée, épiant le silence. Soudain, le cri d'un grillon traversait ma torpeur - petite bulle qui venait éclore, toute proche et pourtant si mystérieusement étouffée qu'elle appartenait sans aucun doute à un autre monde. Un monde dont je suis toujours en quête, depuis.

Les grillons meurent ou vous quittent pour des raisons mal connues et, parfois, il faut attendre longtemps avant que d'autres ne viennent les remplacer. D'où l'utilité des Poseurs de Grillons. Dans les campagnes le prix moyen d'une pose n'est pas très élevé si bien que, d'ordinaire, ces spécialistes exercent un second métier. Ainsi Merlin, qui opérait chez nous, vendait des "pièges à filles". Ces pièges étaient des fleurs qu'il savait où cueillir et quand les filles les acceptaient elles ne pouvaient plus rien vous refuser. Merlin apprivoisait aussi les arcs-en-ciel pour les montrer dans les foires.

Un jour il réussit à poser un grillon dans un grand plat en faïence coloriée qui ornait notre cheminée.

Vous aviez beau examiner le plat à la loupe, aussi attentivement que possible, vous ne découvriez aucun trou, aucune fente où même le plus petit grillon du monde aurait pu se loger. Et, lorsque le plat tomba et se brisa, les morceaux de faïence ne révélèrent pas, non plus, la trace de l'insecte. Mais quelque chose avait dû s'envoler car il ne chanta jamais plus, une fois le plat réparé et suspendu de nouveau à sa place.


La fontaine Saint-Bénigne

Sur le territoire de la commune d'Epagny, à une lieue au nord d'Asnières, la fontaine Saint Bénigne n'est pas, à ma connaissance, directement évoquée par Louis. Elle est née, selon la légende, du doigt miraculeux de l'évangéliste assoiffé par son apostolat itinérant en terre aride (Savigny le Sec est limitrophe). Cependant, c'est là que les galibots viendront longtemps laver un minerai de fer réputé pour sa douceur, extrait à quelques encablures, afin de l'expédier ensuite, par tombereaux et voie d'eau (Saône), à la foire de Beaucaire décrite dans un article signé J-L. B du "Provincial" ( n° 54 -28 septembre 1828) (Voir plus loin ci-dessous). Des mines, ne demeurent plus aujourd'hui que galeries éboulées ou dangereuses, mais la source alimente toujours un lavoir séculaire suivi d'un bassin naturel.








De qui s'agit-il ?



"Il n’y a chez lui rien de moderne, et croire à une imitation, à un pastiche gothique, ce serait se tromper grandement. Il y a transposition d’époque, dépaysement d’âme, anachronisme ; voilà tout. Ces retours inexpliqués d’anciens motifs causent de piquantes surprises et font une rapide réputation d’originalité aux artistes que leur tempérament y porte.

Il avait l’air d’un de ces longs anges thuriféraires ou joueurs de sambucque qui habitent les pignons des cathédrales, et qui seraient descendus par la ville au milieu des bourgeois affairés, tout en gardant son nimbe plaqué derrière la tête en guise de chapeau, mais sans avoir le moindre soupçon qu’il n’est pas naturel de porter son auréole dans la rue.

On aurait eu dit que du haut de son pinacle gothique, X... , dominait la ville actuelle, planant sur l’océan des toits, regardant tournoyer les fumées bleuâtres, apercevant les places comme des damiers, les rues comme des traits de scie dans des bancs de pierre, les passants comme des fourmis ; mais tout cela confusément à travers l’estompe des brumes, tandis que de son observatoire aérien, il voyait en première loge et avec tous leurs détails, les roses de vitraux, les clochetons hérissés de crosses, les rois, les patriarches, les prophètes, les saints, les anges de tous les ordres, toute l’armée monstrueuse des démons ou des chimères, onglée, écaillée, dentue, hideusement ailée, guivres, tarasques, gargouilles, têtes d’âne, museaux de singe, toute la bestiaire étrange du moyen-âge.

A ses premiers essais, X..., dessinait comme avec des plombs de vitrail et semblait colorier avec une palette de peintre verrier. Pour obtenir des tons plus intenses, il employait des verres teints dans la masse. On peut y appliquer ce qu’un des amis de Joseph Delorme disait de certaines petites ballades de Victor Hugo, la chasse du Margrave, le Pas d’arme du roi Jean, que ce sont des vitraux gothiques."

S'agit-il de Louis Bertrand ? Non, mais de Célestin Nanteuil ainsi portrait dans son " Histoire du Romantisme" par Théophile Gautier. Sa conclusion : "Il continue son rêve du passé à Dijon ou il est directeur de l’école de dessin et où il peut continuer de contempler tout à son aise la flèche merveilleuse de la cathédrale et le donjon du Palais des Ducs en répétant avec « Gaspard de la Nuit » : « Gothique donjon…Et flèche gothique...Dans un ciel d'optique...Là-bas, c'est Dijon... ». Dijon est hospitalier aux peintres romantiques. Louis Boulanger... s'y éteint dans la pénombre de l'école qu'il dirigeait, et Célestin Nanteuil y profite de son loisir pour travailler."

Ce qui montre, malgré le peu d'appétence de Gautier pour les "fantaisies mignonnes" de Louis Bertrand, qu'il les avait néanmoins bien en tête.




Célestin Nanteuil (Célestin-François Nanteuil-Lebœuf - 1813-1873), peintre, graveur, illustrateur, proche de Victor Hugo et de Gérard de Nerval, a été nommé, en 1848, directeur de l’Académie puis du Musée des beaux-arts de Dijon.

Une illustration d' Auguste Leroux







LES CINQ DOIGTS DE LA MAIN



Le pouce est ce gras cabaretier flamand, d'humeur goguenarde et 
grivoise, qui fume sur sa porte, à l'enseigne de la double bière de
mars.

L'index est sa femme, virago sèche comme une merluche, qui dès
le matin, soufflette sa servante dont elle est jalouse, et caresse la
bouteille dont elle est amoureuse.

Le doigt du milieu est leur fils, compagnon dégrossi à la hache, qui
serait soldat s'il n'était brasseur, et qui serait cheval s'il n'était homme.

Le doigt de l'anneau est leur fille, leste et agaçante Zerbine qui vend
des dentelles aux dames, et ne vend pas ses sourires aux cavaliers.

Et le doigt de l'oreille est le Benjamin de la famille, marmot pleureur
qui toujours se brimbale à la ceinture de sa mère comme un petit 
enfant pendu au croc d'une ogresse.






Dessins réalisés par Auguste Leroux pour l'édition de "Gaspard de la Nuit" d' Edouard Pelletan. Cet ouvrage est répertorié au chapitre des "Ouvrages annoncés en préparation qui n'ont pas été publiés"  ( page 141 du catalogue général de l'oeuvre d'Edouard Pelletan ( R. Helleu, libraire-éditeur, 1913 - VII-XXI-152p : ill ; 18 cm) - Information transmise par Olivier Bogros, bibliothécaire.


D'autres...












Encore... et fin.












Annonce de "Gaspard de la Nuit" - Revue du Lyonnais -1843 - Anonyme



« Vainement le siècle étend sur nous son manteau de glace : il se trouve encore quelques âmes fraîches et poétiques qui fleurissent comme les primevères, sous la neige. Louis Bertrand fut une de ces âmes privilégiées. Son livre, Gaspard de la Nuit, fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, est une suite de petites ballades en prose dont le couplet ou le verset exact simula admirablement la cadence du rythme ; ces petites pièces travaillées avec délicatesse et un art infinis, rappellent ces bijoux de la Renaissance dont la ciselure est plus précieuse que la matière. On retrouve dans quelques-unes le piquant et la naïveté des vieux Noëls, et dans toutes le secret et la forme de la facture à un haut degré. Gaspard de la nuit a sa place marquée tout à côté d’Hoffmann, dont l’auteur à dû plus d’une fois s’inspirer. Une notice pleine d’intérêt dont Sainte-Beuve a fait précéder ce recueil, nous apprend que Louis Bertrand, poète par l’esprit et par le cœur, est mort à trente ans de la mort de Gilbert et d’Hégésippe Moreau. »