La foule se presse....au four banal de la rue de Bèze



Les commentateurs ne s'arrêtent généralement pas à cette rue de Bèze qui, il faut bien le reconnaître, ne présente pas un grand intérêt sur les plans historique et littéraire. Toutefois ce détail du four banal (ou chacun pouvait venir faire cuire son pain) montre,une fois de plus, la connaisance intime que Louis avait de sa bonne ville de Dijon. A son époque, pas de rue de Bèze, mais on peut lire ceci dans la "Description Générale et particulière du Duché de Bourgogne" de Courtépée - 1777 :

"Bèze : Cette abbaye fondée au commencement du 7 ème siècle par le Duc Amalgain dans le canton des Attoariens au Royaume de Bourgogne, fut souvent le lieu d'assemblée des Grands du temps des premiers Ducs. L'Abbé avait un hôtel dans le faubourg Saint-Nicolas. Il est souvent parlé dans les titres des douze et treizième siècles du "Four de Bèze" : une rue même avait le nom de Bèze mais il faut convenir que les plus versés dans nos antiquités, prétendent que ce "four" et cette "rue de Bèze" tirent leur nom d'une famille ancienne, dont on voit un Maire, Pierre de Bèze, en 1206, et que les moines de Bèze logeaient à Saint-Bénigne." [.../...] "Cette église (Saint-Nicolas) était anciennement au faubourg de ce nom, dans la rue dite "du four de Bèze", depuis "rue aux Coquins".

Gaspard de la Nuit est de toutes les époques. Son tableau est composé de touches diverses, individuellement datées ou datables,mais formant un tout achronique. Ainsi les remparts bertrandiens sont-ils formés de tours et portelles provenant des enceintes successives de la ville de Dijon. Gaspard ne connait pas le temps.


Les biographies



La première biographie "complète" publiée en 1889 par Henri Chabeuf, avec la notice d'annonce de publication sur les presses de l'imprimerie Darantière de DIJON.












La thèse de doctorat de Cargill Sprietsma, publiée en 1926,suivie d'une nouvelle édition préfacée par Jacques Bony, en mai 2005.









L'étude très documentée et variée, publiée en 1970 par Fernand RUDE, dans la collection "Poètes d'aujourd'hui - Seghers.




Charles BRUGNOT - un ami



Jean-Baptiste-Charles Brugnot, né à Painblanc, arrondissement de Beaune, le 26 vendémiaire an VII ( 17 octobre 1798 ) de Jean-Baptiste Brugnot, précepteur, et de Reine Jobard a fait ses études au collège de Beaune. Ayant perdu son père en 1818, il fut successivement professeur aux collèges de Cluny, Compiègne et Troyes. Atteint par la maladie du siècle, la phtisie, il dut quitter l’enseignement et devint directeur du journal « Le Provincial » en lieu et place de Louis, gestionnaire incompétent ( « Bertrand encore une fois ne te sera bon à rien. C’est la plus haute incapacité administrative qui se puisse concevoir » lettre de Foisset à Brugnot du 13 mai 1828 ). Auteur d’une traduction remarquée de l ‘ « Eloge de la folie » d’Erasme, il sera reçu le 6 janvier 1829 à l’Académie de Dijon. Vers la même époque il acheta l’imprimerie Odobé ( devenue aujourd’hui l’imprimerie Darantière - tirages de « Pléiade » Gallimard ) et fonda la feuille « Le Spectateur ». Il est mort de sa maladie de poitrine le 11 septembre 1831 à Dijon. Sa veuve, Lazarine Vauchet , passée directrice de l’imprimerie, fera paraître un volume de ses poésies en 1833.

Charles Brugnot, fier et mélancolique, souvent grognon, est cependant demeuré proche de la famille Bertrand, notamment pendant le séjour de Louis à Paris de novembre 1828 à fin mars 1830. Il visitait Laure et Elisabeth, servait d’intermédiaire aux uns et aux autres, pressait parfois Louis d’accepter un poste, l’invitait à revenir à Dijon. A son retour, l’orgueil fit des distances que la mort n’effaça pas tout à fait.



l'église de Painblanc



INVOCATION


Oh ! Viens t’asseoir aux lieux déserts,
Sauvage muse des vallées !
Ploie ici tes voiles ailées,
Et chante-moi tes derniers airs.

Avant que l’autan monotone,
Comme un loup hurleur dans les bois
Mugisse avec ses mille voix,
Chante-moi ta chanson d’automne.

Le vallon garde encor des fleurs ;
La forêt qui se décolore,
Cache sous la feuillée encore
Les longs cris des merles siffleurs.

Aux rayons du soleil qui tombe,
La crécelle aigre du grillon
Réjouit encore le sillon,
Mais demain….sa muette tombe…

Fille des champs, n’aimes-tu pas ?
A venir parfois, sans compagne,
Admirer, brillant sous tes pas,
Le frêle œillet de la montagne ?

A voir, au coteau, se dresser
Le buis massif en sombres gerbes,
Et le monde chauve balancer
L’épi fané des hautes herbes ?

Oh ! Viens là, sur le rocher nu
Essayer tes divins préludes !
Charme-moi d’un hymne inconnu,
Enfant plaintif des solitudes,

Fée aux yeux bleus, qui vas cacher
Des voix magiques et lointaines,
Parmi les mousses du rocher
Et dans la grotte des fontaines.

Au val de Gouville, octobre 1828.



Gouville



LE FOLLET DE SAINT BENIGNE


Le Follet qu’autrefois on voyait se percher,
Rouge comme une flamme, ou blanc comme un cigne,
Près du coq d’or, qui vire au bout du haut clocher,
Sur la flèche de Saint Bénigne,

Il m’a dit, cette nuit, le magique Lutin
Qui prête à l’airain sourd ses voix mélancoliques,
Et tantôt réjouit d’un murmure argentin
Le vieux chêne des basiliques :

« Bonjour, voisin, bonjour ! - Pour toi je sonnerai
Les heures et les quarts ( Dors ou veille, n’importe)
Les jours qui s’en vont lents, boiteux, l’œil éploré,
Et ceux que l’allégresse emporte.

Tiens ! Vois, à ce cadran imprimé dans sa main,
Une !…Douze !… - As-tu lu la courte page entière ?
Là, se brise sans fin le flot du genre humain !
Elle est là ton heure dernière !

Et je veux la sonner moi-même. - Un mardi soir
Entendra mon clocher, au bourdon lourd qui pleure,
Chanter, chanter pour toi, raidi sous le drap noir,
L’heure qu’on dit la dernière heure !

Tais-toi, Follet Esprit, tais-toi ! - L’heure d’adieu, -
Cet écueil redouté que n’évite personne, -
Où l’âme palpitante échoue aux pieds de Dieu,
Follet, n’importe qui la sonne ;

Mais avant, mais avant - Oh ! Laisse-moi compter
A ton cadran fatal encor quelques années ;
Quelques-uns des momens, si prompts à nous quitter,
Qu’on appelle heures fortunées !

Heures de voluptés et d’extase et d’oubli
Où mon âme n’a plus d’oreille pour la terre,
Quand la muse, le soir, brûle mon front pêli
De son baiser de vierge austère ;

Heures de paix, toujours douces au souvenir,
Quand mes enfants, bercés sur leur mère qui joue,
Essuient en leurs yeux bleus, trop prompts à se ternir
La larme qui fuit sur leur joue ;

Ou, que mon bons amis, qui sont mon univers,
Autour de mon foyer, leur journée achevée,
Perdent pour moi leur veille à me causer de vers
Et de gloire longtemps rêvée.


Dijon, 3 décembre 1829



Saint-Bénigne


L'édition AUBRY - 1943



L'édition AUBRY de 1943, illustrée par des dessins de A van OSTADE ( "La danse dans la caverne"), D DUMONSTIER ("Portrait d'homme"), E TROOST ( " Buveurs "), GOYA ("Sorcières") et M. FREMINET ( "Esquisse").













Le premier biographe - Auguste Petit



Le premier biographe de Louis Bertrand a été un de ses condisciple au Collège Royal de Dijon, à savoir Auguste PETIT qui, dans une communication faite le 24 novembre 1865 à l’Académie Delphinale de Grenoble,l'a présenté. Cette intervention est l’ une des premières à attirer l’attention sur le poète et son œuvre. En voici les principaux passages ( les considérations littéraires générales et les poèmes cités ne sont pas repris ) :

« Bertrand se mêlait rarement aux jeux bruyants de ses condisciples. Une humeur inquiète, une sorte de sauvagerie et de fierté native, unies à une extrême douceur, l’entraînaient dans des lieux écartés où il laissait un libre cours à ses rêveries. Il allait, seul, le nez au vent, les mains dans les poches s’asseoir sous le vaste peuplier du jardin de l’Arquebuse, qui depuis plus de cinq siècles brave les efforts du temps ; ou, s’enfonçant sous les ombrages de la Chartreuse de Dijon, ce Saint-Denis des Ducs de Bourgogne, aujourd’hui asile des plus navrantes douleurs qui puissent affliger l’humanité, il admirait devant le « Puits de Moïse » les imposantes figures des six prophètes, dues au ciseau du hollandais Claus Slüter, « ymaigier » des Ducs ; - ou les petits moines en marbre blanc, délicatement sculptés, qui encapuchonnés et le brévaire à la main, entourent processionnellement, dans les attitudes naïves du recueillement et de la douleur, les tombeaux de Philippe le Hardi, de Jean Sans Peur et de Marguerite de Bavière. Tantôt, accoudé sur le parapet des remparts qui n’existaient pas en 1513, lorsque 20000 Suisses, moins avides de gloire que de riche rançon, levèrent le siège entrepris inutilement contre la vaillante cité commandée par La Trémouille, il plongeait ses regards sur l’immense plaine baignée par la Saône, ou bien loin, à l’extrême horizon sur les cimes neigeuses des Alpes du Dauphiné et de la Savoie ; tantôt arrêté devant les tarasques grimaçantes penchées aux toits du Palais des Ducs - devant le Jacquemart de l’Eglise Notre-Dame, enlevé à la ville de Courtrai par Philippe le Hardi, - à l’ombre de la tour de Bar, où fut enfermé René d’Anjou - au pied des lourds bastions du château de Louis XI…[…/…]

Il a décrit dans les pages pleines de verve et d’entrain qui ouvrent son « Gaspard de la Nuit », l’émotion qu’il ressentait à « galvaniser » l’antique capitale des Ducs, qu’il aimait disait-il « comme l’enfant sa nourrice …. » […/…]

Je ne connais point de tableau plus saisissant que cette revue pressée, haletante, cette course échevelée à travers les temps, les hommes, les faits qui rendent à l’histoire de l’ancien Dijon, à ses monuments, à ses héros, la physionomie qu’ils avaient au moyen-âge Et ces pages si colorées, celle ou la rêverie transporte Bertrand parmi les sites variés qui entourent Dijon, ont un haut goût de terroir, un arôme particulier dont un « bourguignon salé », mieux que tout autre peut-être, saura reconnaître la pénétrante saveur. […/…]

Sans prétendre exagérer l’importance de ces petits tableaux, ne doit-on pas être frappé du charme qu’ils reflètent, de la légèreté de la touche, du choix des images, de la délicatesse des ornements qui les distinguent ? Ce ne sont pas des vers, il est vrai ; la rime manque à ces strophes cadencées, mais la poésie ne manque pas à la pensée qui les a dictées. La concision même du style accuse chez son auteur une maturité d’esprit, une sagesse de réflexion qui ne se laisse point dominer par l’imagination, quelque brillante qu’elle soit. On a comparé ces compositions aux ciselures, aux pièces d’orfèvrerie que les artistes du moyen-âge et de la renaissance fouillaient avec une patience et une dextérité merveilleuses. Ne dirait-on pas, en effet, que ces bijoux ont été retrouvés dans un de ces coffrets, d’un métal et d’un travail précieux, conservé avec soin, et transmis d’héritage en héritage, dans les opulentes successions de la Hollande ?

Et ces pages, dignes du pinceau de Metzu, que leur auteur avait mis tant de veille à polir, dont il écoutait attentivement le nombre et l’harmonie, satisfaisaient-elles du moins son esprit avide de perfection ? Etaient-elles pour lui la réalisation complète du Beau ? Hélas ! Non. […/…]

Le livre eu la destinée de son auteur : humble, incomplète, tronquée. Goûtée de quelques esprits d’élite, religieusement conservée par les amis de Bertrand, il resta inconnu du plus grand nombre. Il n’eut pas , dans la patrie d’adoption du poète, le retentissement que celui-ci s’était promis, et dont la consolante perspective, à ses derniers moments, avant de s’élancer dans un monde meilleur, lui faisait peut-être oublier les tourments et les angoisses qui avaient marqué son passage ici-bas ».


Les maisons de Louis




Le 15 décembre 1815, le capitaine de Gendarmerie Georges Bertrand (en poste à Ceva - 17/06/1805 ; Spolète - 15 mars 1812 ; Mont de Marsan -3 septembre 1814 ) atteint par la limite d’âge, quittait le commandement de la compagnie des Landes , pour rejoindre sa fille Denise, née d’un premier mariage, et ses sœurs ( à lui), Françoise-Marguerite - la tante Lolotte -, Jeanne - la tante Tonton et Françoise-Elisabeth, dite Pierrette. Ces dernières habitaient une maison élevée sur la pente intérieure de l’ancienne enceinte fortifiée de Dijon. On pouvait y accéder par le 4, de la rue de Richelieu et le 14, Rempart de la Miséricorde. Aujourd’hui détruite, elle était proche du Collège Royal et de Saint Bénigne.








« Quant au ménage Bertrand, la gêne le suivit dans ses divers logements, rue Guillaume - aujourd’hui partie de la rue de la Liberté, n° 51, dans une vieille maison du XV ° siècle - puis rue du Champ-de-Mars, enfin rue Crébillon, n° 6, où devait mourir le capitaine, dans un logis sans profondeur à cinq fenêtres de façade et à un seul étage surmonté de mansardes à lucarnes de pierre ; serré entre la porte ionique de l’ancien couvent des Carmes devenu la Visitation et l’hôtel de l’Académie universitaire ; c’est une maison de rapport construite au siècle dernier (XVIII)) par les religieux » nous dit Henri Chabeuf dans « Louis Bertrand et le romantisme à Dijon ». La voici de nos jours, assez peu modifiée, sauf bien entendu les logements encore récemment occupés. L’entrée s’effectuait par une porte indépendante 4, rue Crébillon ,donnant par un couloir sur une courette intérieure dotée d’un puits, desservant le rez-de-chaussée, l’étage, les mansardes et greniers.























A son retour de Paris, le 4 avril 1830, Louis habitera chez sa mère 92, rue des Godrans et 16, rue Berbisey. Ce serait à une fenêtre de cette maison qu'aurait été arboré le premier drapeau tricolore post-révolutionnaire vu à Dijon, confectionné par Elisabeth, soeur du poète.








Louis se rendait très souvent chez son beau- frère Abel Bonnet, époux de sa demi-sœur Denise, 4, rue Porte au Lion. Ils y devisaient et dessinaient des pendus.








Les alchimies de la concision - Mathilde Fournier



Parmi les nombreux commentaires de l'oeuvre de Louis Bertrand, voici des extraits d'un texte relativement récent de Mathilde Fournier (2000) publié dans "Bagatelles pour l'éternité" aux éditions Universitaires de Franche-Comté. L'analyse me semble particulièrement éclairante.

La structure des poèmes présente, " sur le mode textuel des caractéristiques picturales. Non qu'ils se bornent à évoquer des spectacles immédiats, mais comme une toile délimite un espace afin d'organiser son contenu. Les poèmes bornent, isolent un spectacle un évènement, pour révéler la magie qui est en lui. [.../...]Tout se passe dans le recueil comme si les textes ne pouvaient dépasser une certaine longueur (les plus longs d'entre eux n'excèdent jamais quatre pages) : la concision est ici garante de la maîtrise d'un espace textuel." [.../...]

"Car l'art absolu, l'art magique des Rose-Croix évoqué dans le préambule, qui seul intéresse le romantisme, n'est possible qu'à la manière du péché des alchimistes. L'échec, c'est que plus on s'efforce de le saisir, plus il s'éloigne : ce qui dans les représentations immédiates de la peinture, apparait comme "présence" n'est perceptible dans la représentation textuelle tributaire du temps que comme instant, instant qui s'évanouit aussitôt effleuré, comme les sorciers et les sorcières" se sont déjà envolés alors qu'on attend encore le moment de leur départ pour le sabbat [.../...] Et la damnation, c'est d'être condamné une fois l'instant passé, à une nouvelle tentative, une nouvelle esquisse, un nouveau poème."

" Aussi les textes du recueil peuvent-ils apparaître, ainsi que les désigne dans le préambule leur auteur fictif, comme autant de procédés, de stratégies pour faire naître l'illusion de la présence. Nombre d'entre eux s'articulent autour d'un instant de grâce, moment unique autour duquel s'organisent un avant, un après. [.../...] L'illusion de la présence naît souvent dans les poèmes par un jeu sur le temps ; celui du narrateur, par ce procédé consistant à évoquer le moment central après qu'il a eu lieu ; celui du lecteur, en lui dévoilant ou en lui masquant subtilement un second pan de la réalité. L'écriture de la concision permet ce truchement du rapport au temps : d'une part parce que l'évocation d'un moment, fugace,doit s'inscrire dans un espace textuel lui-même très dense et très bref ; et d'autre part parce que seule une structure élliptique est à même d'éluder l'instant central ou d'opérer une rencontre entre deux plans différents de la réalité.[.../...]Les poèmes s'achèvent souvent par des effets de chute [.../...] Et en quoi consiste une "chute", sinon en la révélation d'un autre pan de la réalité qui transforme celui qui apparaissait auparavant ? [.../...]La juxtaposition des strophes par les seuls larges blancs que Bertrand recommande au metteur en page permet de rapprocher deux réalités, deux motifs différents ; le simple fait de les placer côte à côte suggère mieux qu'aucune explication l'incongruité de la scène, en même temps que son évidence, sa réalité. [.../...] L'écriture de la concision concourt ici, en faisant l'économie de la coordination, à donner aux scènes évoquées un degré supérieur de présence.

" C'est aussi le cas de l'emploi dans certains poèmes de la première personne qui fait intervenir directement des personnages que seul le titre permet d'identifier ( L'Alchimiste, Le Raffiné). Très souvent, de plus, les personnages interviennent dans les textes sans autre introduction que celle des guillemets ; ces " mises en présence " contrastent avec les interventions au passé simple du narrateur, qui ferment le texte en reléguant au passé l'épisode même duquel elles sont en train de dévoiler le sens." [.../...]

"Les poèmes de "La Nuit et ses Prestiges" n'ont pas de centre, car les hullucinations qu'ils évoquent entraînent leur victime dans un monde sans repères, sans explications et sans issue. Comme la plupart des textes du recueil, ils s'ouvrent à l'imparfait ou au présent de narration, mais contrairement aux autres, clos pour la plupart au passé-simple ou au plus que parfait, les poèmes de "La Nuit et ses Prestiges" s'achèvent comme ils ont commencé au présent ou à l'imparfait. L'univers du cauchemar, cyclique, est marqué par les motifs de la fièvre et de l'égarement, et les textes qui l'évoquent sont à l'image de ce limaçon cherchant sa route sur une vitre. "Egaré par la nuit", le poète subit l'incohérence des images qui l'assaillent."

"Aussi l'écriture de la concision ne concourt-elle plus ici à tisser une structure assurant la maîtrise de la temporalité mais au contraire à déconstruire cette temporalité, à faire naître une vision fragmentée, incohérente.Mais si l'extrême cohésion des textes n'est plus assurée par leur organisation autour d'un centre, elle est maintenue dans le monde du cauchemar par des réseaux d'images qui se correspondent." [.../...]

" Dans l'espace limite, serré, des poèmes, les ellipses, les absence de transitions et d'explications ne font pas obstacle au sens, au contraire, elles instaurent une densité remarquable qui apporte un surcroît de sens.

Comme on le voit, l'écriture de la concision n'a rien d'un parti pris minimaliste. Elle laisse la place aux descriptions détaillées, aux variations rythmiques, aux répétitions, aux dialogues, aux détails. C'est en fait une méthode de reconstruction du réel : tout se passe comme si la brièveté même des textes de Gaspard de la Nuit permettait à leur auteur d'y tisser une structure extrêmement serrée, d'y réorganiser un monde aussi complet, aussi immédiat que celui qu'un peintre inscrit sur sa toile. Le recours pesque systématique à l'ellipse et à la juxtaposition donne aux textes une densité, une plénitude qui ne saurait se maintenir dans une durée moins circonscrite. Ce système de "compression" de l'espace textuel que forment les procédés de la concision est comparable aux savantes opérations de l'alchimiste. Ils sont des tricheries, des tentatives ingénieuses pour truquer la réalité et le temps et leur faire atteindre à une dimension qu'ils ne peuvent faire leur : celle du divin, de l'absolu."


La "rue sain-felebar" - Saint-Philibert




La rue "sain-felebar", actuelle rue Condorcet, ne présente plus les attraits d'antan. Très passagère, elle relie la place du parvis Saint-Philibert à la Porte d'Ouche. Louis Bertrand l'a empruntée très certainement puisqu'elle est une partie du chemin entre le " Collège Royal " et son domicile rue Crébillon, ou de l'un et l'autre à celui de ses tantes, 14, Rempart de la Miséricorde. Une maison de vigneron y subsiste toujours (Maison Augueur).

L'église Saint-Philibert, du XII ème siècle, est de style roman-bourguignon de l'école de Cluny. Jusqu'au XV ème siècle, les édiles se réunissaient aux alentours puis sous son porche pour désigner le maire et le procureur syndic. Par ailleurs, étant la paroisse des vignerons, c'est devant sa porte que, jusqu'à la Révolution, étaient désignés les vigners ou gardes-champêtres spéciaux des vignobles.

A la suite d'un arrêté du 22 vendémiaire an IV, l'église devint logement des chevaux de la garnison (ce qu'elle était au temps de Louis) puis, après un bref retour au culte, magasin des subsistances militaires. Cette dernière affectation lui sera nuisible, le sel de conservation des aliments s'étant petit à petit infiltré, rongeant les fondations. Saint Philibert, fermée à la visite publique, sert aujourd'hui d'entrepôt à la Ville de Dijon.
















(Le numéro 4 de la rue des Novices est le seul immeuble restant des six maisons données en 1489 par Hugues Serrin pour loger les desservant de l'église. Le n° 4 servait encore de maison curiale avant la Révolution.- E. Fyot )





(la "maison Augueur" était occupée en 1782 par le vigneron Jean Févret et par François Petit, soldat provincial. -E. Fyot.)

La lanterne magique - Théodore de Banville



" La Lanterne magique a un très grand avantage sur tous les autres livres contemporains : c'est que je l'ai écrite pour les gens qui ne lisent pas et qui n'ont pas le temps de lire, c'est à dire pour tout le monde. En effet, quelle est la mesure du temps qu'on a pour lire ? Deux minutes tout au plus.

Le mari, les deux minutes pendant lesquelles, ayant déjà pour sortir son chapeau sur la tête et sa mince canne à la main, il attend que Madame achève de boutonner les boutons de ses gants. Quant à la femme, le seul moment dont elle puisse disposer en faveur de la littérature, c'est les deux minutes pendant lesquelles sa femme de chambre lui met ses bas, comme en témoigne le spirituel dessin de Georges Rochegrosse placé en tête de ce volume.

Or mon livre est, après les Fantaisies de Gaspard de la Nuit et les Poèmes en prose de Baudelaire, le seul qui contienne des compositions assez courtes pour pouvoir être lues en deux minutes. Mais les deux ouvrages que je viens de citer étant rangés parmi les chef-d'oeuvre, et par conséquent dédaignés, je pense que mon livre est seul destiné à être lu. C'est pourquoi j'ai pris le parti d'y mettre tout ce qui existe sur la terre, dans les univers et dans les vastes Infinis, depuis le Bon Dieu jusqu'aux personnages les plus futiles, afin que les Français modernes puissent avoir une teinture de tout..."


Octobre - Le Parc


Le poème intitulé « Octobre » a été précédé, selon H. H. Poggenburg, de trois pré-textes publiés par le journal « Le Spectateur de Dijon » les 4 mai, 5 octobre et 23 décembre 1830. Le premier est celui-ci :

« - Voici le printemps ; les pelouses du Parc et [sic] de l’Arquebuse se sont épaissies, et les prés de Chèvremorte sont semés de marguerites. Qui n’a respiré déjà, du haut du rempart de Tivoli, le délicieux parfum des pêchers ! Qui n’a déjà visité la fontaine de Larrey et des Suisses, dont les peupliers verts s’élancent dans l’azur avec la flèche gothique de Saint-Bénigne ! Solitaires promenades, aimées du poète qui y oublie les heures, un livre à la main ! Oh ! Malheureux le malade qui ne voit le ciel que du fond d’un fauteuil ! Malheureux le prisonnier qui ne respire l’air que dans l’étroit préau ! Oui, c’est le printemps. L’hirondelle est de retour, et les petits ramoneurs sont partis : on en rencontrait hier, par la ville, en habits de fête, le visage rayonnant, armés de leurs bâtons ferrés, et chargés de leurs légers sacs de toile. Ils ne nous quittent point pour toujours, et vers le déclin de l’année, quand l’hirondelle aura cessé de gazouiller autour de nos fenêtres, nous entendrons leurs jeunes voix frapper l’écho sonore de notre quartier ».

Le [sic] ajouté par l’éditrice dans la première phrase pour signaler une étrangeté, montre au contraire sa méconnaissance des jardins dijonnais. Le Parc et l’Arquebuse sont en effet parfaitement distincts (3 Kms) Pour reprendre les termes d’Henri Chabeuf, c’est « vers 1670 (que) le duc d’Enghien, Henri-Jules, gouverneur de Bourgogne sur la résignation plus ou moins volontaire du grand Condé, son père, créa le Parc, en face du petit château de la Colombière, fief des Condés, situés en dehors de la commune de Dijon. Dessiné par Lenôtre sur le patron des jardins dont la France avait emprunté le thème à l’Italie, le Parc à 655 mètres 40 centimètres sur 534 en bordure le long de la rivière, soit 34 hectares 34 ares 29 centiares de superficie ; à l’origine tout n’était pas en plantations, il y avait autour des futaies centrales, de larges espaces en gazon ; un mail s’étendait le long du mur nord-ouest. A son passage à Dijon en 1683, Louis XIV aurait dit obligeamment que c’était la plus belle plantation de son royaume… »










Louis pouvait donc à bon droit écrire « du Parc et de l’Arquebuse ». Rien d’ailleurs de ce qu’il avance n’est faux même si ses rêves sont parfois plus solides que ses pierres.

( la fontaine de Larrey et la fontaine des Suisses ont peu ou prou été remplacées par des châteaux d’eau ; les remparts plantés d’arbres fruitiers abattus pour cause de voirie et de chemin de fer - quelques vestiges )





la fontaine des Suisses

L'édition Charles Meunier - 1904


L'édition de la "Maison du livre" de Charles Meunier, préfacée par Jules de Marthold, illustrée par Marc Dutzanen, est une des plus belles, tirée à 125 exemplaires en 1904.