"Notre-Dame d'Etang"



Louis Bertrand, outre la mention qu'il en fait dans la première préface de " Gaspard de la Nuit" ( "Que de fois j'ai ravi leurs quenouilles de fruits rouges et acides aux halliers mal hantés.../...de l'hermitage de Notre-Dame d'Etang, .../... l'hermitage du diable") a consacré un poème en vers au pélerinage de Notre-Dame d'Etang. Un second texte, en prose, publié sous X dans "La France littéraire", rubrique "Album littéraire", en février 1833, lui a été attribué, peut-être abusivement, par Jean Richer, son contenu semblant largement inspiré de l'"Histoire de la découverte miraculeuse de Notre-Dame d'Etang" publiée à Dijon en 1726 par le Père Antoine Dejoux. Les deux sont cependant reproduits ci-dessous.







Pèlerinage à Notre-Dame de l'Etang


3 septembre 1827




Pèlerins, mes amis, et vous, ô demoiselles,
Qui suivez à pas lents le pénible chemin,
Prions le Paraclet de nous prêter ses ailes,
Ou l'ange conducteur de nous donner la main.

Le vieux rocher moussu dont la cime est flétrie,
Et le chêne, là-haut, et l'épais noisetier
Dont les feuillages blancs tombent dans la prairie,
Avec tous leurs festons, pendent sur le sentier.

Mais nos pas ont atteint les sommets solitaires ;
Les lierres plus touffus rampent sur le gazon,
Les bois ont plus d'odeurs, de bruits et de mystères,
Et le soleil plus doux se lève à l'horizon.

Respirons un moment au haut de la colline ;
Et contemplons de loin, à travers les rameaux,
Le torrent écumeux, la roche qui s'incline,
Le doux émail des près et les toits des hameaux.

Quand donc la sainte Croix du gothique Ermitage
Nous apparaïtra-t-elle à l'horizon lointain,
Comme aux yeux des élus le céleste héritage,
Ou comme le soleil, roi brillant du matin ?

La voilà ! la voilà ! Voyez-vous la chapelle ?
Et n'entendez-vous point une voix dans les airs ?
Des anges l'on dirait la voix qui nous appelle,
Ou la cloche qui tinte au fond de ces déserts.





NOTRE-DAME D'ETANG


Février 1833




"Dijon a de vertes promenades qui l'entourent, comme une fraîche ceinture. Dijon a son vieux château, ses tours pittoresques, ses remparts de guerre, ses fossés, ses créneaux. Dijon possède la vierge noire qui, mieux que la Trémouille, protégea contre les boulets suisses les flèches de ses églises et la vie de ses soldats ; mais cette ville a cessé d'avoir dans ses murs Notre-Dame d'Etang, et Dijon a perdu, avec elle, la plus belle fleur de sa couronne. Quand vous aurez ouï son histoire, vous direz comme moi.

Il est à deux lieues de Dijon une haute montagne qu'on appelle le côte d'Etang. Son sommet est couronné d'une verdoyante forêt. A ses pieds s'allonge, comme un serpent, une étroite et sinueuse vallée, les eaux de l'Ouche scintillent dans le lointain. L'air y est vif, la vue belle, la solitude profonde. Ainsi est la Côte d'Etang.

Or sachez que le 2 juillet 1425 sous le pontificat d'Eugène IV et le règne de Charles VII un boeuf....le révérend père Dejoux, provincial des Minimes du duché de Bourgogne, va nous dire ce qu'il fit. "Un berger s'étant aperçu que l'un de ses boeufs, s'échappent des près, se retirait à l'écart au sommet de la Côte-d'Etang, il le suivit de près, et il vit plusieurs fois, avec étonnement et admiration, que cet animal, prosterné en terre et comme dans une posture qui marquait du respect et de la vénération (sentiment dont il était néanmoins incapable), paissait une herbe verdoyante qui bientôt renaissait au même lieu, épaisse". Les autres bergers accoururent. La terre fut creusée en cet endroit, et à trois pieds de profondeur parut une petite statue de pierre peinte qui représentait la Vierge Marie assise et tenant l'enfant Jésus dans ses bras.



On vit des guérisons soudaines soulager les malades qui parvenaient à la toucher. Alors l'abbé de Saint-Bénigne la revendiqua pour son église ; ses voeux furent obéis ; une procession solennelle la conduisit jusqu'au maître-autel : cela fait, et après le te Deum, elle reçut droit de cité dans nos murs. Mais Dieu dispose, si l'homme propose. Un beau matin, elle quitta le logis : comment, pourquoi, par où, par terre ou par l'air, nul ne l'a su, nul ne l'a dit. Le mal du pays l'avait gagnée : on la trouva le lendemain sur la Côte d'Etang. L'abbé de Saint-Bénigne en fut quitte pour la perdre. Un pauvre mendiant qui s'avisa de la voler à son tour, pour la faire fructifier dans ses mains, n'en fut pas quitte à si bon compte. "A peine ce malheureux eut-il fait une lieue de chemin, raconte le révérend père Dejoux, que tout à coup la tête lui tourna sur le côté, que ses cheveux se hérissèrent, et qu'il devint si contrefait et si hideux qu'il était un objet d'horreur à toux ceux qui le voyaient." L'abbé de Saint-Bénigne n'eut garde de revendiquer désormais la miraculeuse statue.

Une chapelle fut érigée en son honneur sur la cime de l'Etang. Un solitaire la désservait. Les pélerins s'y portaient en foule. C'était la Mecque de la Bourgogne. Cependant la marche était longue, le sentier difficile : on y montait qu'à force de foi. La foi diminuant, le sentier parut impraticable : or donc, en 1638, une seconde chapelle, plus vaste que la première, fut construite sur une esplanade au pied du rocher. Une communauté de Minimes fut appelée à l'entour ; des donations leur furent faites ; Louis XIV les sanctionna par lettres-patentes, et le pape Urbain VIII promit de larges indulgences à qui visiterait Notre-Dame d'Etang.


Alors les pélerinages recommencèrent de plus belle. A Pâques, à la Pentecôte, à la Visitation, aux principales fêtes de l'année la foule s'y précipitait. Il y avait plaisir à voir, par une belle matinée, les habitants de Plombières, de Velars, de Corcelles et de Prenois, traversant les vallées et les campagnes, leurs pasteurs en avant, les croix et bannières brillant au soleil. C'étaient des groupes de jeunes garçons qui ouvraient la marche en chantant une litanie d'une voix irritée, comme ils eussent fait d'un chant de guerre ; et puis des vieillards qui unissaient aux cris de l'avant-garde leurs voix chevrotantes ; et puis des choeurs de vives paysannes, au teint brun, au pied agile, vêtues de blanc, et tournant, comme des biches légères, autour des flancs du coteau.


La piété des grands du monde ne restait point en arrière. Louis XIV, Anne d'Autriche, saint François de Sales, de hautes et puissantes dames, précédées de leurs laquais et missels, Bossuet, les évêques de Langres et de Grenoble, tentèrent d'arriver au ciel par la route d'Etang. Le vainqueur de tant de batailles, le prince de Condé à son tour, donnant des trophées pour aumône, suspendit plus d'une fois à l'humble chapelle les drapeaux des ennemis.


C'était justice, après tout. La patronne du lieu était pour toute la Bourgogne un palladium si puissant ! En 1636, la Saône et le Doubs s'ouvrirent à sa voix pour noyer les fameuses bandes du comte de Galas ; en 1637, la peste qui désolait Dijon dut céder à son influence. Et puis, que de cures merveilleuses ! que de conversions soudaines ! que de pécheurs revenus à la bonne voie dans l'enclave de ses domaines ! Toute la montagne était sacrée ; la source même qui, de nos jours encore, jaillit sur l'esplanade, guérissait à la fois les maux de l'âme et du corps, et surtout donnait à chacun une soif inextinguible de vérité ; mais on prétend qu'elle a perdu cette dernière vertu...

Le dernier prodige de Notre-Dame arriva dans la personne de M. Joly, procureur à Dijon. Le 12 avril 1673, son cheval fit un écart sur le pont de Fleurey. M. Joly lança vers la chapelle un regard d'angoisse et son cheval le jeta dans l'eau. Un pieu se trouva par fortune au milieu du courant : il s'y tint suspendu durant quinze minutes, et, chose merveilleuse, il avala beaucoup d'eau par les oreilles sans en avaler par la bouche ce qui prouve une assez haute intercession.

Les temps sont changés. La chapelle, le solitaire, les Minimes, les bulles et les lettres-patentes, tout a disparu sans retour. Le couvent est descendu dans la plaine ; une maison de ferme s'est composée de ses débris, l'herbe croît dans le sanctuaire. Plus de processions, plus de saints cantiques, plus de bannières flottantes. Seulement, par intervalle, des caranes mondaines s'acheminent encore à la Côte-d'Etang ; le rire des jeunes filles folâtres sous la ramée : une joie bruyante remplace les pieuses extases du temps qui n'est plus : c'est le monde qui déploie sa tente jusque dans la maison du Seigneur.


Et cependant le souvenir des scènes passées imprime parfois à la montagne un caractère religieux Essayez de la gravir quand le soleil meur sur le côteau, et que l'orbe silencieux de la lune flotte à l'horizon : la croix de fer qui s'élève solitaire sur la cime rencontre un rayon du soir et brille d'un faible éclat ; une femme, chrétienne encore, verse sa prière fervente devant la Vierge qui l'entend ; la brise agite mollement la feuille des grands arbres ; l'air est troublé à peine par le refrain du berger monotone, le bruit de la feuille qui tombe, ou la voix incertaine des clochers d'alentour. Oh ! c'est alors que le promeneur nocturne voit repasser sous ses yeux les générations qui ne sont plus avec leurs moeurs naïves, leur foi d'enfant, leur enthousiasme, leurs prodiges. Non, je vous le dis en vérité, rien ne vaut une pareille scène, rien, sinon d'avoir à minuit, quand il fait froid, les pieds dans la cendre, le bonnet de coton sur la tête et la pincette à la main."


Note : C'est en 1632 qu'eut lieu l'assassinat d'un chapelain par un ermite, objet d'une notule de Louis. La victime se nommait Frère Nicolas et l'ermite Basile Borde. Il fut condamné au supplice de la corde en place du Morimont. Quant à l'étymologie du mot d'Etang, elle est encore débattue de nos jours. Certains ont vu  la mention :" a parte montis Destan" dans un acte daté de 1257, d'autres l'orthographe Notre-Dame des Tans (chênes), Destang, de l'Estang et même des Temps en 1626. Une seule chose est sûre : il n'y avait pas d'étang au sommet de la colline mais une chapelle restaurée en 1689 par un dénommé...Bertrand)