Jacques Cazotte
Quelques extraits du "Diable amoureux" :
"A peine avais-je fini, une fenêtre s'ouvre à deux battants, vis à vis de moi, au haut de la voûte : un torrent de lumière plus éblouissante que celle du jour fond par cette ouverture : une tête de chameau horrible, autant par sa grosseur que par sa forme, se présente à la fenêtre : surtout elle avait des oreilles démesurées. L'odieux fantôme ouvre la gueule, et, d'un ton assorti au reste de l'apparition me répond : "che vuoi" ? Toutes les voûtes, tous les caveaux des environs retentissent à l'envi du terrible : "che vuoi" ? [.../...]
" La fenêtre s'est refermée, toute autre vision a disparu, et il ne reste sous la voûte, suffisamment éclairée, que le chien et moi."
(Passage a rapprocher de l'article de Noriko Yoshida "La fenêtre et le regard - Gaspard de la Nuit " - Les Diableries de la Nuit - Hommage à Aloysius Bertrand - Figures Libres - sous la direction de Francis Claudon)
" C'était dans le milieu du mois de juillet. Bientôt je fus chargé par une pluie abondante mêlée de beaucoup de grêle.
Je vois une porte ouverte devant moi : c'était celle de l'église du grand couvent des franciscains ; je m'y réfugie. [.../...] J'arrive enfin dans une chapelle enfoncée et qui était éclairée par une lampe, le jour extérieur n'y pouvant pénétrer : quelque chose d'éclatant frappe mes regards dans le fond de la chapelle ; c'était un monument. Deux génies descendaient dans un tombeau de marbre noir ; une figure de femme ; deux autres génies fondaient en larmes auprès de la tombe. [.../...] J'attache mes yeux sur la tête de la principale figure. Que deviens-je ? Je crois voir le portrait de ma mère."
(Correspondance textuelle avec la vision de Notre-Dame de Dijon. Première préface de "Gaspard de la Nuit" - Cf Henri Corbat - "Hantise et imagination chez Aloysius Bertrand" - page 50)
Venise au XV° siècle
"On ne me donne pas le temps de réfléchir sur cette harangue singulière : un coup de sifflet très aigu part à côté de moi. A l'instant, l'obscurité qui m'environne se dissipe : la corniche qui surmonte le lambris de la chambre s'est toute chargée de gros limaçons : leurs cornes qu'ils font mouvoir vivement en manière de bascule, sont devenues des jets de lumière phosphorique, dont l'éclat et l'effet redouble par l'agitation et l'allongement.
Presque ébloui par cette illumination subite, je jette les yeux à côté de moi ; au lieu d'une figure ravissante, que vois-je ? ô ciel ! c'est l'effroyable tête de chameau. Elle articule, d'une voix de tonnerre, ce ténébreux che vuoï qui m'avait tant épouvanté dans la grotte, part d'un éclat de rire humain plus effrayant encore, tire une langue démesurée...
Je me précipite, je me cache sous le lit, les yeux fermés, la face contre terre. Je sentais battre mon coeur avec une force terrible : j'éprouvais un suffoquement comme si j'allais perdre la respiration. Je ne puis évaluer le temps que je comptais avoir passé dans cette inexprimable situation, quand je me sens tirer par le bras ; mon épouvante s'accroît : forcé néanmoins d'ouvrir les yeux, une lumière frappante les aveugle.
Ce n'était point celle des escargots, il n'y en avait plus sur les corniches ; mais le soleil me donnait aplomb sur le visage. On me tire encore par le bras ; on redouble : je reconnais Marcos.
Eh ! seigneur cavalier, me dit-il, à quelle heure comptez-vous donc partir ? si vous voulez arriver à Maravillas aujourd'hui vous n'avez pas de temps à perdre, il est près de midi."
(Tableau fantastique manifestement à l'origine - entre autres - de "La nuit et ses prestiges")