"Il est un des plus rares inventeurs que nous connaissions en matière de poésie : pour le fond et pour la forme. C’est de lui que vient le poème en prose comme nous l’entendons aujourd’hui, c’est lui qui a tendu une nouvelle lyre aux plus grands, qu’ils le reconnaissent ou non. Le Baudelaire du « Spleen de Paris » n’est pas ingrat : « J’ai une petite confession à vous faire. C’est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux « Gaspard de la Nuit » d’Aloysius Bertrand… » Le Max Jacob du « Cornet à dés » pourra parler d’Aloysius comme n’étant qu’un peintre violent et romantique, il lui devra beaucoup, et faut-il mentionner entre Baudelaire et Max Jacob, Villiers de L’Isle-Adam, Charles Cros, Mallarmé, Rimbaud, Huysmans…
Aloysius sculpte sur ivoire des sujets de son temps, mêlant en bon hugolien, le sublime et le grotesque. Il refuse le ronron du vers, le ton déclamatoire, le discours, le récit verbeux, il veut mettre beaucoup, beaucoup en peu de mots. Il a ses disciplines, presque ses manies : nombre constant d’alinéas et nombre constant de lignes, enchaînements logiques abolis, imagerie en patchwork mêlant le détail réaliste à la vision onirique.[…/…]
« Gaspard de la Nuit » se présente comme les trésors des quarante voleurs. On y trouve de tout, comme dira Mallarmé. Bien des grands ont emprunté le chemin créé par ce poète apparemment mineur, cheminant à ses côtés avant de créer leur propre route. C’est un poète qui ne déçoit jamais. Aujourd’hui, même si le temps à ajouté du suranné au suranné volontaire, « Gaspard de la Nuit » n’a rien perdu de son charme. Il y a là quelque magie. »