Inimitable - Capitaine "T"



Dans son article de la "Revue de Bourgogne" (1916/17), le Capitaine "T" (Troubat) évoque la lettre bien connue adressée peu avant le 26 août 1861 par Charles Baudelaire à Arsène Houssaye : " Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu'il n'a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement. [.../...] J'ai une petite confession à vous faire. C'est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n'a-t-il pas tous les droits à être appelé fameux) que l'idée m'est venue de tenter quelque chose d'analogue, et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu'il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque...".


Il poursuit ainsi : " Baudelaire n'avait pas la patience de celui qu'il avait pris pour modèle, la lime lui donnait des impatiences et à s'enfermer dans cette jolie cage d'oiselet, il étouffait. Il s'en aperçut et l'avouait bonnement à Arsène Houssaye : " Sitôt que j'eus commencé le travail, je m'aperçus que non seulement je restais bien loin de mon mystérieux et brillant modèle, mais encore que je faisais quelque chose ( si cela peut s'appeler quelque chose) de singulièrement différent."

En effet, les tableautins s'allongent et se haussent bientôt aux proportions d'une nouvelle. Mais il me plait de croire qu'à être pris pour modèle par celui sur qui se sont modelés tant d'hommes de lettres, le pauvre Gaspard de la Nuit, s'il l'eût pu savoir, en eût ressenti quelque orgueil et une joie qui l'eut payé de bien des peines.

Octobre - "Adieu, derniers beaux jours" - Alphonse de Lamartine - L'Automne


le château de Montculot, à vue de Notre-Dame d'Etang,

où Alphonse de Lamartine écrira notamment "Novissima Verba".


Luc BONENFANT - l'ami québécois



Luc Bonenfant, professeur au département d'études littéraires de l' Université du Québec à Montréal a consacré de nombreux textes à Louis Bertrand. Certains sont disponibles "en ligne" ( "Aloysius Bertrand. Les prismes historiques du Moyen-âge" ; " Aloysius Bertrand. La volonté de transposition" ; " Le vers détourné : Aloysius Bertrand et la réinvention de la prose", etc...), d'autres ont fait l'objet d'un livre " Les avatars romantiques du genre. Transferts génériques dans l'oeuvre d'Aloysius Bertrand" ; "Vers et contes épars de Bertrand Aloysius" ( Editions Nota Bene - 2002) ou d'un article compilé tel que : "Aloysius Bertrand : la fantaisie de la promenade" ( in "Voyager en France au temps du romantisme" - ELLUG 2003 - Université Stendhal -Grenoble).



Ce dernier article, consacré notamment à la promenade, intéresse tout particulièrement ce blog illustré :


"Comme toute promenade, la narration semble s'inscrire dans un rapport référentiel à Dijon : les endroits nommés sont tous repérables sur une carte topographique et le lecteur contemporain qui chercherait à retrouver le Dijon de Bertrand pourrait utiliser " Voici le printemps..." à cette fin. Rapidement pourtant, la fonction strictement référentielle des toponymes du texte se trouve gommée au profit de leur fonction poétique : les lieux nommés ne sont jamais décrits, et il est impossible pour un lecteur qui n'a jamais visité Dijon de se les représenter. Convoqués par le souvenir, les lieux agissent à titre de citation d'un décor - celui de Dijon et de ses environs - qui devient le lieu du surgissement d'un trouble plus métaphysique...[.../...]Sémantiquement ouverts, les toponymes (pourtant réels et repérables) ne sont en fait qu'un prétexte pour le poète-promeneur à se laisser aller à sa rêverie solitaire, qui est finalement plus intellectuelle que physique."

Rien n'est en effet bien certain dans les paysages de Louis, composés d'images mentales en promenade dans l'espace et le temps. Ses tableaux sont autant de fenêtres et de livres ouverts sur l'absoluité de ses rêves.

Mais son ami québécois en sait bien plus que moi.







Un soir dans une chaumière.



"...cheminant au hasard vers la plaine, après avoir visité les plateaux boisés et les combes encore vertes de Chamboeuf..."

le clocher de l'église de Chamboeuf


les plateaux de Chamboeuf, direction les combes

la combe Lavaux



à la sortie des combes



vers la plaine de la Saône


Les oubliés du XIX° siècle - Fortuné Calmels - Revue fantaisiste du 15 octobre 1861



"Si Louis Bertrand ne fut pas, à la vérité, un homme de génie, ce fût, à coup sûr, un artiste de grand talent, fécond comme pas un en délicatesses et en élégances, un ouvrier accompli, un lapidaire tout plein de cette sagesse qui est la science de l'artiste, la crainte de la Laideur. C'est pourquoi la foule s'éloigna de lui autant qu'il s'éloignait d'elle, et son oeuvre posthume n'a pu arriver à la notoriété malgré une notice magistrale de Sainte-Beuve qui la précède.[.../...] Aujourd'hui, vingt ans après l'apparition de Gaspard de la Nuit, Louis Bertrand n'est pas même un nom, et l'édition de son livre n'est peut-être pas encore entièrement écoulée. Seuls de très rares dilettanti littéraires en possèdent un exemplaire, et ceux-là, je vous l'affirme, ne le céderaient pas pour beaucoup d'or.[.../...]

Nous pourtant qui avons eu cette joie insigne de lire Gaspard de la Nuit, nous n'avons jamais rencontré oeuvre plus gentille et plus exquise. C'est une galerie de petits tableaux que Van Eyck, Lucas de Leyde, Albert Dürer, Peeter Neef, Breughel de Velours, Breughel d'Enfer, Van Ostade, Gérard Dow, Salvator Rosa, Murillo, Fuessli, auraient signés. La Hollande avec ses toits aigus, ses immenses greniers, ses stoëls de pierre, ses kermesses, ses alchimistes, ses intérieurs suant le hareng saur et la bière blonde ; - la vieille France avec ses preux, ses malandrins, ses reitres, ses ladres, ses juifs et ses raffinés ; - l'Espagne picaresque avec ses moines tirelupins, ses gitanos, ses senoras et ses duègnes ; à ces croquis joignez les légendes fantastiques : sorcières partant pour le sabbat, épouvantements du clair de lune, magiciens diaboliques ; tout ce qui reluit, tout ce qui foisonne, grotesques comme les gargouilles des cathédrales au charmant comme une niellure de Finiguerra ; toutes ces choses curieuses et rares, condensées en diamants, montées en bijoux, vous les retrouverez dans ce livre trois fois unique, serties comme autant de pierres fines, dans des chatons ciselés de façon à désespérer Benvenuto Cellini lui-même. [.../...]

Bertrand est un peintre de genre consommé. Il ne fait que de petites toiles ; est-ce chez lui impuissance ? Non, évidemment : c'est horreur de la vulgarité ; nada vulgar est sa devise. Il élague tout ce qui n'est pas recherché, rare, exquis ; et pourtant quelle abondance de détails, quelle efflorescence d'aiguilles, de flèches fenestrées à jour, d'acanthes, de trèfles, de colonnettes aux chapiteaux de dentelle délicats comme la robe d'or d'une madone, où nichait l'hirondelle et le tiercelet ! Les fantaisies de Gaspard de la Nuit sont tout au plus de la longueur des petits poèmes grecs de l'Anthologie. Quant au rythme, l'on a pu voir avec quelle science il est composé, en sorte que la mélopée, rompues par d'habiles syncopes, se renoue sans cesse et circule de la première à la dernière strophe. Cette prose là exige autant de main d'oeuvre que les vers des plus experts de tours de force ; c'est un art qui se dissimule et ne se laisse deviner qu'aux plus clercs, comme un rayon de lune glissant dans les entrecolonnements d'un temple ruiné de Poestum.

Cette manière a été imitée ; mais le maître n'a pas été égalé, tant pour la souplesse des rythmes que pour le pittoresque de l'image."



"Nous avons une vigne ; - eh bien! vendangeons nous ?