Le bastion Bazire



Au second paragraphe de la première préface de "Gaspard de la Nuit", Louis écrit : " J'étais un jour assis à l'écart dans le jardin de l'Arquebuse, - ainsi nommé de l'arme qui, autrefois, y signala si souvent l'adresse des chevaliers du papegai. Immobile sur un banc, on eut pu me comparer à la statue du bastion Bazire. Ce chef-d'oeuvre du figuriste Sévallée et du peintre Guillot représentant un abbé assis et lisant. Rien ne manquait à son costume. De loin, on le prenait pour un personnage ; de près on voyait que c'était un plâtre."

Henri Chabeuf, dans "Louis Bertrand et le Romantisme à Dijon" précise :

"Louis aimait aussi à se promener sur les remparts du vieux Dijon "autour duquel courait un branle de dix huit tours, de huit portes et de "quatre poternes ou portelles nous ne le chicanerons pas sur son effectif ; refaits pièce à pièce, mais toujours sur les racines de l'enceinte ducale, les remparts n'étaient plus, depuis la conquête de la Franche-Comté, qu'une promenade. Louis a parlé des portes Saint-Nicolas et Saint-Pierre pratiquées dans des bations devenus des jardins en terrasses ; au bastion Saint Pierre ou Basire, on voyait une de ces statues de plâtre peint qui faisaient la joie de nos pères ; celle-ci, " chef-d'oeuvre du figuriste Sévallée et du peintre Guillot," représentait un abbé assis et lisant. Depuis longtemps les anciennes tours étaient chargées de maisons, enfin de la verdure des fossés transformés en jardins, émergeaient les demi-lunes dépouillées de leurs revêtements à bossages et toutes plantées d'arbres fruitiers qui au printemps faisaient fête à la ville d'une couronne embaumée et blanche ; au delà les chemins couverts étendaient en zizzag leurs doubles files d'arbres.

Dans ses notules, il ajoute les éléments suivants :

" L'enceinte de Dijon, commencée après l'incendie de 1137, a englobé alors les faubourgs et paroisses jusqu'alors extérieurs au castrum gallo-romain, elle n'a été achevée qu'au XIV° siècle, et a presque entièrement disparu depuis une vingtaine d'années. Nicolas-Guillaume Basire, né sur la paroisse Saint-Jean, le 9 décembre 1759, de Guillaume Basire et de Pierette Michelet, était le frère aîné du conventionnel Claude Basire, né le 15 mai 1764. Il fut d'abord comme celui-ci, commis dans le bureau des Elus, puis receveut du District pendant la Révolution. Il mourut au bation de la porte Saint-Pierre " ( acquis par la famille) "le 30 novembre 1823.../...Différents projets avaient été étudiés dès 1822 pour rectifier et élargir le passage" ( de la porte Saint-Pierre) ; enfin le bastion tout entier fut acquis des héritiers Basire par actes des 12 août 1824 et 4 octobre 1825 pour le prix de 32,000 et déblayé aussitôt, la tour étant entièrement dérasée dès 1826. Le 26 septembre 1838 on posa la première pierre des maisons actuelles..."

Clément-Louis Sévallé était un italien, fils d'un chirurgien de Moncrivelli, près Verceil, où il était né le 14 novembre 1777 ; il avait ouvert à Dijon, rue Saumaise, un atelier de moulage, qu'il transporta plus tard rue du Change, aujourd'hui des Forges. Le 25 brumaire an XI - 16 novembre 1802 - il épousa Reine Mazoyer, perdit une fille en 1825, et dut quitter Dijon, car on ne retrouve plus sa trace dans les registres de l'état-civil. C'était un de ces demi-artistes faciles et adroits comme l'Italie en a fourni de tout temps à la France et à l'Europe. Il eût un fils qui fut compromis en juin 1848 dans une affaire de drapeau séditieux et acquitté.

Guillot était un peintre de la rue du Lacet, aujourd'hui François Rude."

Le bastion étant déblayé, le voici aujourd'hui :












Eaux-Fortes - Paul Verlaine


Verlaine n'a pas cité Louis Bertrand parmi ses "Poètes maudits", mais ne l'a-t-il pas salué, à sa manière, par ses "Eaux-Fortes", certes dédiées à François Coppée ( auteur, entre autres, d'un conte prenant pour sujet la découverte d'un exemplaire de "Gaspard de la Nuit" par un bibliophile ), mais bien " dans l'idée de " ? En voici deux exemples que l'on peut rapprocher notamment du "Clair de Lune" ( "Le chien avait enfilé une venelle, devant les pertuisanes du guet enrouillé par la pluie et morfondu par la bise " ).



CROQUIS PARISIEN


La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fumée en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.

Le ciel était gris. La bise pleurait
Ainsi qu'un basson.
Au loin, un matou frileux et discret
Miaulait d'étrange et grêle façon.

Moi, j'allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l'oeil clignotant des bleus becs de gaz."



EFFET DE NUIT


La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette
De flèches et de tours à jour la silhouette
D'une ville gothique éteinte au lointain gris.
La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris
Secoués par le bec avide des corneilles
Et dansant dans l'air noir des gigues nonpareilles,
Tandis que leurs pieds sont la pâture des loups.
Quelques buissons d'épine épars, et quelques houx
Dressant l'horreur de leur feuillage à droite, à gauche,
Sur le fuligineux fouillis d'un fond d'ébauche.
Et puis, autour de trois livides prisonniers
Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers
En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,
Luisent à contre-sens des lances de l'averse.

Edition du "Mercure de France" - 1895.


Première édition du "Mercure de France" - Réimpression de l'édition d'Angers de 1842 - 250 pages - Pas d'illustrations. Trois cents exemplaires.




Hypothèses


Trois réponses hypothétiques à trois questions en suspens :

"La foule se presse aux hôtelleries de la rue Bouchepot" nous dit Louis dans la première préface de "Gaspard de la Nuit". Mais où pouvait-elle se situer ? Les plans de la ville, même les plus anciens (1574), n'en font pas état. Cependant, en recherchant plus avant, on peut relever qu'à la suite du grand incendie du 28 juin 1137 qui détruisit toute la ville, une nouvelle fortification avait été édifiée par le duc de Bourgogne. Celle-ci comptait une dizaine de portes, dont la porte Bouchefo(l)u devenue, peu ou prou, la porte au Fermerot, ouvrant intra-muros sur une rue (rue de la porte au Fermerot - actuelle rue de la Préfecture ), située à l'entrée nord de la ville, proche du secteur marchand de l'époque. Il est donc plausible que, Louis écrivant parfois comme un chat, la rue de la porte Bouchefo(l)u ou Bouchefo(l)u, soit devenue Bouchepot à la lecture de sa plume.


Idem : point de monastère de Saint-Maur à Dijon ou ses environs. Mais en lisant Henri Chabeuf, on trouve ceci : " Nous sommes arrivés à un temps où l'ordre de Saint-Benoit croule de toutes parts ; à Saint-Bénigne la décadence est complète, et les arrêts du Parlement se succèdent contre l'abbaye lamentablement dégénérée ; plusieurs fois, nous l'avons vu, on a tenté de la séculariser et de faire de son église la cathédrale d'un nouveau diocèse, on s'est toujours heurté à la résistance des évêques de Langres. Mais la réforme de Saint-Maur, approuvée par Grégoire XV en 1621, par Urbain VIII en 1627, favorisée par Louis XIII, va rendre à l'ordre un semblant de vie. (.../...) La réforme de Saint-Maur fut introduite à Saint-Bénigne en 1651 par l'abbé Nicolas II de Castille, petit-fils du grand présient Jeannin" . Et en lisant Eugène Fyot :"En 1662, les bénédictins de Saint-Maur, envoyés à Saint-Bénigne, bouleversèrent les constructions de l'abbaye : exhaussement du sol du préau, surélévation d'un étage au bâtiment du dortoir ...Et dès lors ce dortoir fut transféré dans la partie supérieure où l'on établit des cellules suivant le règlement des moines de Saint-Maur...". Le monastère de Saint-Maur n'est-il pas celui de Saint-Bénigne réformé ?










Enfin, pourquoi Louis signale-t-il l'existence de la léproserie de Saint-Apollinaire qui n'a qu'une porte, et n'a point de fenêtres" alors que tous affirment, dont Henri Chabeuf, qu'aucun établissement de ce type n'y a jamais ouvert sa porte ? Peut-être le village, à son emplacement actuel, a-t-il trop focalisé l'attention. En effet, une gravure intitulée " Vue de Dijon prise de la Montagne au dessus de la Fontaine de Larrey dessinée et dédiée à S. A. S. Monseigneur le Prince de Condé ", mentionne en n° 2 de sa légende : "Saint Apolinaire, village" à la sortie nord de la ville - quartier de la Maladière ou de la Maladrerie ? ( Maladrerie : Hôpital de lépreux; Syn. de léproserie ou de ladrerie. Ces établissements ne reçurent une très grande extension et n'acquirent une régularité uniforme qu'après la seconde croisade. Les maladreries étaient des vastes enclos plus ou moins grands, tous bâtis sur le même modèle, renferment des jardins, des vergers et des vignes ; des habitations gothiques pour les malades des deux sexes, qui avaient chacun une cellule ; une église et un cimetière, où quiconque entrait là-dedans était bien sûr d'être enterré, car il n'en sortait plus - Dictionnaire National Bescherelle 1875) -en tout état de cause sans rapport avec sa situation géographique actuelle. Certes, raisonner à partir d'une gravure est à haut risque mais lorsque les 46 autres références sont exactes, peut-on douter d'une seule, alors même qu'elle est corroborée par la réalité ? (J'entends par là que la Maladière est bien située à l'emplacement désigné par la gravure comme étant "Saint Apolinaire").






Le cerf et la vigne - La Fontaine




" Un Cerf, à la faveur d'une Vigne fort haute
Et telle qu'on en voit en de certains climats,
S'étant mis à couvert, et sauvé du trépas,
Les Veneurs pour ce coup croyaient leurs chiens en faute.
Ils les rappellent donc. Le Cerf hors de danger
Broute sa bienfaitrice, ingratitude extrême ;
On l'entend, on retourne, on le fait déloger :
Il vient mourir en ce lieu même.
"J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats." Il tombe en ce moment.
La Meute en fait curée. Il lui fut inutile
De pleurer aux Veneurs à sa mort arrivés.
Vraie image de ceux qui profanent l'Asile
Qui les a conservés."


Les halles Champeaux



Les halles Champeaux ( construites sur l'ancienne place Champeaux - triangle actuel formé par les rues Jean-Jacques Rousseau, Auguste Comte et Devant les Halles ), du nom d'un notable habitant le quartier, étaient également désignées sous le nom de "marché de la chair salée". Tous les samedis, on y vendait du lard salé et tous les assortiments nécessaires aux cuisiniers ; cela s'appelait " le queul". Le marché au blé, anciennement place Saint-Michel, viendra s'y adjoindre. Non loin, le marché aux porcs occupait la rue du Vertbois ; celui aux poissons, place Notre Dame et les abords de l'église. Les Halles Champeaux subsistèrent jusqu'à l'établissement du "marché du Nord" dans l'église des Jacobins en 1807, où il est encore actuellement situé.



La place du Morimont


L’actuelle place Emile Zola, bordée de nombreux restaurants faisant terrasse, par beau temps, sous les platanes centraux, était auparavant nommée place du Morimont. Ce nom dérive, par un léger glissement - « t » final en place de « d » - de celui de l’Hôtel de l’abbé de Morimond [ l’abbaye de Morimond (Mori mundo = Mort au monde devenant Mont de la mort = échafaud ) était la quatrième fille de Cîteaux, dans le diocèse de Langres], sis 17, rue Monge (actuelle - ancienne rue Saint-Jean ), dont la façade arrière donnait sur la place des exécutions.


le cellier de l'Hôtel de Morimond.
Eugène Fyot en dit ceci :

« Quant à la place du Morimont, pendant près de cinq siècles, elle offrit aux dijonnais le spectacle toujours recherché, hélas ! des souffrances souvent atroces de l’expiation. Au centre s’élevait un échafaud composé d’une plate-forme rectangulaire élevée de six pieds au-dessus du sol, sur cinq piliers de pierre ; on y accédait pas deux échelles latérales…/…Sur l’échafaud se plaçait le billot de bois sur lequel le bourreau décollait, à grands coups de hache ou d’épée, la tête du condamné à la peine capitale.

En face de l’hôtel du Morimont, la roue horizontale attendait perpétuellement sur son axe l’exposition des patients plus ou moins désarticulés par la barre du bourreau. Et de l’autre côté enfin, le gibet en forme de potence recevait les pendus.

Comme on le voit, l’aménagement comportait la variété des supplices. Il arrivait même qu’on disposait, dans certains cas spéciaux, en arrière de l’échafaud, un bûcher autour d’un grand pilier de bois.

Pendant la Révolution, le gibet et la roue disparurent, mais la guillotine demeura deux années sur place en permanence. » Ce n’est que le 5 Brumaire an III - 26 octobre 1794 - que le représentant Callès ordonna de l’enlever. Elle ne revint plus que ponctuellement, pour les besoins de Justice, que jusqu’au milieu du règne de Louis Philippe.

Henri Chabeuf donne quelques détails sur les exécutions :

« Pendant trois ou quatre siècles, sur la place où la potence et la roue étaient en permanence à côté d’un calvaire, on pendit, on roua, on décapita, on brûla en attendant la guillotine, l’exposition et la marque. Le 6 mars 1586, après amende honorable au Dieu de pitié du chevet de Saint Jean, y fut brûlé vif Renvoisy, « maistre de musique habile et des plus habiles joueurs de luth qu’il y eust ; » là, le lundi 12 mai 1625, se passa le drame unique dont Hélène Gillet fut l’héroïne ; là tombèrent les têtes du président Giroux et de D. Georges Bourée, qui auraient mérité dix fois la roue. Jusque dans le sensible XVIII° siècle, les exécutions sont un spectacle d’autant plus suivi qu’il y a plus de raffinement ; ainsi le 12 mars 1772, un rare supplice a attiré la curiosité de bien des spectateurs dit le « Mercure dijonnais » ; on devait brûler sur le même bucher, mais à deux poteaux, une femme qui avait empoisonné son mari, et son complice, un crime passionnel comme on voit. Malheureusement pour les amateurs, les suppliciés furent d’abord étranglés. Là eurent lieu plus tard les quinze exécutions de la Terreur dijonnaise ; un jour d’octobre 1793, un cortège s’est dirigé, musique en tête, vers le Morimont, escortant deux voitures chargées de tableaux, tapisseries fleurdelisées, bustes, livres, estampes, etc…, et le tout fut entassé sur un bûcher qu’alluma l’exécuteur des hautes œuvres. »

Voici la place Emile Zola, aujourd’hui difficilement présentable car souvent encombrée, aux heures tranquilles, de piles de chaises, de tables enchaînées, et de conteneurs colorés malodorants.






Le Gibet






"Ah ! ce que j'entends, serait-ce la bise nocturne qui glapit,
ou le pendu qui pousse un soupir sur la fourche patibulaire ?

Serait-ce quelque grillon qui chante tapi dans la mousse et
le lierre stérile dont par pitié se chausse le bois ?

Serait-ce quelque mouche en chasse sonnant du cor
autour de ces oreilles sourdes à la fanfare des hallali ?

Serait-ce quelque escarbot qui cueille en son vol inégal un
cheveu sanglant à ce crâne chauve ?

Ou bien serait-ce quelque araignée qui brode une demi-aune
de mousseline pour cravate à ce col étranglé ?

C'est la cloche qui tinte aux murs d'une ville, sous
l'horizon, et la carcasse d'un pendu que rougit le soleil
couchant.





Edition " Le livre et l'estampe" - Introduction de S. de Pierrelée - Illustrations J Fontanez - 1903


"Cette édition de l'oeuvre de Louis Bertrand est la troisième qu'on offre au public. La première, celle que donna à Dijon, M. Victor Pavie voici soixante ans, fut au dire de l'éditeur un des plus beaux désastres de la librairie contemporaine. Pendant de nombreuses années ce bel in-octavo, broché de vert, couleur pourtant d'espérance, traîna les étalages des bouquinistes, voire même les boîtes - ces cimetières de livres - aux parapets des quais.

Pui un beau jour on s'aperçut que ce nom inconnu, était celui d'un maître, que ce volume dédaigné était un pur et précieux chef d'oeuvre, on l'acheta. Il était trop tard ; ce livre dispersé, déchiré, à moitié détruit devint du coup "rare et précieux", comme on dit en terme de bibliophilie et de quatre sous il monta à quatre louis. (... /...)

Ces pages d'ailleurs suffisent à présenter Louis Bertrand, elles sont parfaites, il ne peut venir à quiconque l'idée qu'un seul mot soit à reprendre et à corriger. C'est son oeuvre, comme l'a écrit Sainte-Beuve, d'imagier, d'orfèvre, d'émailleur, c'est d'une ciselure poussée à la suprême perfection. (.../...)

Il incarne aussi absolument que possible, plus que bien d'autres mieux connus, un des chefs principaux de l'école romantique dont Hugo fut le Dieu et dont le but était : rénovation du style, refonte complète des expressions, des termes, des mots, des moyens d'expression de la pensée humaine.

Il ne fut pas un bruyant, un robuste combattant, ce ne fut pas un sans-culotte de cette révolution littéraire, mais il fut un habile, un délicat, il ne bouscula pas la grammaire pour la rénover, il l'enjoliva très gracieusement, exquisement.

Il pesa comme nul autre ses mots, il sut à chacun donner sa signification, à la fois exacte et complète, en ne l'embrouillant pas d'adjectifs, en ne l'empêtrant pas de qualificatifs, en le choisissant assez clair et précis, pour dire à lui seul tout ce qui devait être dit.

Il a des phrases de trois mots qui valent un long discours comme dirait un Boileau de nos jours, parce que ses mots sont si bien choisis, si bien accouplés qu'ils forment image, précise et juste."

Des illustrations de J. Fontanez



"Ma chaumière"


"La cellule"


"Les grandes compagnies"


"Les flamands"


"La salamandre"


"Un rêve"


"Le nain"


"La sérénade"



"L'office du soir"


"Le raffiné"


" La Tour de Nesle "


" Le falot "


"Les deux juifs"


"Départ pour le sabbat"


"Le marchand de tulipes"


"Harlem"


Jacques Callot

"Le poème en prose de Baudelaire jusqu'à nos jours "- Suzanne Bernard



A propos de Louis Bertrand et de "Gaspard de la Nuit" :

"Etrange revanche posthume ! L'oeuvre au cours des années cheminait, se propageait de façon presque souterraine, fécondait au passage les obscures vélléités d'un Baudelaire, d'un Lautréamont, d'un Mallarmé, obtenait enfin de la part des critiques modernes une véritable consécration : certains allant jusqu'à donner à Bertrand une place de choix au firmament poétique, non comme simple satellite des poètes romantiques, mais comme précurseur (avec Nerval et Baudelaire) de l'"alchimie lyrique".Et sans doute Aloysius Bertrand n'avait pas mérité ni cette indignité ni cet excès d'honneur. Est-il besoin de dire qu'il n'est comparable ni à un Nerval, ni à un Baudelaire ? Je crois toutefois que "Gaspard de la Nuit" restera, suivant l'expression de R. Schwab (dont la belle étude le replace définitivement parmi les précurseurs de la poésie moderne)"une articulation éternelle de l'histoire littéraire " : et cela précisément parce qu'il y a une poésie de la prose qui commence à Gaspard, parce que Bertrand est le véritable créateur ( et ce point n'a jamais, je crois, été contesté) du poème en prose, comme genre littéraire.L'originalité de Bertrand éclate, quand on compare ses "ballades" à celles que publient alors les keepsakes romantiques : plus de phraséologie pompeuse, plus de pseudo-hellénisme, ni d'exotisme de commande ; mais un pittoresque particulier, très personnel, et servi par une technique très poussée de la phrase en prose. Bertrand, c'est indéniable, a voulu écrire des poèmes, et non de la prose plus ou moins rythmée (juste avant sa mort, écrivant à son éditeur, il lui recommande de blanchir comme si le texte était de la poésie" ; et il poussait même le scrupule jusqu'à vouloir supprimer, comme de caractère trop anecdotique, les chroniques de Gaspard. Il faut lui savoir gré d'avoir vu que ce genre nouveau réclamait des règles nouvelles, et qu'il ne suffisait pas de décalquer des tournures dites poétiques, ou d'imiter certaines cadences du vers pour faire un poème en prose - d'avoir pris, d'autre part, la géniale initiative de remplacer la ballade exotique, la pseudo-traduction, par la ballade médiévale et fantastique qui, tout en dépaysant le lecteur dans le temps, cette fois, et non plus dans l'espace, garde une saveur autochtone et trouve ses racines dans l'âme même de l'auteur."

"A Rebours" - J. K. Huysmans



"De toutes les formes de la littérature, celle du poème en prose était la forme préférée de des Esseintes. Maniée par un alchimiste de génie, elle devait, suivant lui, renfermer dans son petit volume, à l'état d'of meat, la puissance du roman dont elle supprimait les longueurs analytiques et les superfétations descriptives. Bien souvent, des Esseintes avait médité sur cet inquiétant problème, écrire un roman concentré en quelques phrases qui contiendraient le suc cohobé de centaines de pages toujours employées à établir le milieu, à dessiner les caractères, à entasser à l'appui les observations et les menus faits. Alors les mots choisis seraient tellement impermutables qu'ils suppléeraient à tous les autres ; l'adjectif posé d'une si ingénieuse et d'une si définitive façon qu'il ne pourrait être légalement dépossédé de sa place, ouvrirait de telles perspectives que le lecteur pourrait rêver, pendant des semaines entières, sur son sens, tout à la fois précis et multiple, constaterait le présent, reconstruirait le passé, devinerait l'avenir d'âmes des personnages, révélés par les lueurs de cette épithète unique.

Le roman, ainsi conçu, ainsi condensé en une page ou deux, deviendrait une communion de pensée entre un magique écrivain et un idéal lecteur, une collaboration spirituelle consentie entre dix personnes supérieures éparses dans l'univers, une délectation offerte aux délicats, accessible à eux seuls.

En un mot, le poème en prose représentait pour des Esseintes, le suc concret, l'osmazome de la littérature, l'huile essentielle de l'art.


Cette succulence développée et réduite en une goutte, elle existait déjà chez Baudelaire, et aussi dans ces poèmes de Mallarmé qu'il humait avec une si profonde joie."



Pas un mot à ajouter ou retrancher, Baudelaire et Mallarmé, revendiquant tous deux Louis Bertrand pour modèle, Huymans le plaçant lui-même en tête de son anthologie personnelle : " Cette anthologie comprenait un selectae du "Gaspard de la nuit" de ce fantasque Aloysius Bertrand qui a transféré les procédés du Léonard dans la prose et peint, avec ses oxydes métalliques, des petits tableaux dont les vives couleurs chatoient, ainsi que celles des émaux lucides."

Scarbo








"Oh ! que de fois je l'ai entendu et vu, Scarbo, lorsqu'à
minuit la lune brille dans le ciel comme un écu d'argent sur
une bannière d'azur semée d'abeilles d'or !

Que de fois j'ai entendu bourdonner son rire dans l'ombre
de mon alcôve, et grincer son ongle sur la soie des courtines
de mon lit !

Que de fois je l'ai vu descendre du plancher, pirouetter
sur un pied et rouler par la chambre comme le fuseau tombé
de la quenouille d'une sorcière !

Le croyais-je alors évanoui ? le nain grandissait entre la
lune et moi, comme le clocher d'une cathédrale gothique, un
grelot d'or en branle à son bonnet pointu !

Mais bientôt son corps bleuissait, diaphane comme la cire
d'une bougie, son visage blémissait comme la cire d'un
lumignon, - et soudain il s'éteignait."






Edition Pincebourde 1868 - Introduction de Charles Asselineau - Frontispice de Félicien Rops.


"Une collection de Curiosités Romantiques devait être inaugurée par Louis Bertrand. Il représente en effet plus complétement, plus manifestement que nul autre, une des prétentions cardinales du programme de la révolution littéraire d'il y a quarante ans : innovation ou plutôt rénovation dans le style ; révision du matériel de l'art d'écrire et des moyens d'expression.

Il eut le don, - comme d'autres en ce temps-là eurent le don de la passion, de la véhémence et de la création poétique, - il eut le don de la délicatesse, de la finesse et de la justesse. Tandis que quelques-uns autour de lui, impatients et turbulents, violaient la langue et la brutalisaient, lui, il l'étudia sérieusement, patiemment et savamment, pesant les mots, remontant au sens propre de chacun, révisant les associations, les rapports, rajustant les images.

Le premier, il eut le sentiment de l'importance des mots et de leur valeur dans la phrase poétique. Et en cela il se rencontre avec le maître suprême des délicatesses, J. Joubert, qui dès l'aube du siècle, en 1805, en pleine logomachie et en pleine décadence de la poésie et des lettres, avait le courage de rappeler les poëtes à la précision et à la justesse".

Tels sont les premiers mots de l'introduction à l'édition Pincebourde de "Gaspard de la Nuit". Ils sont signés de Charles Asselineau et précédés d'un frontispice de Félicien Rops :




Notre Dame d'Etang



Notre Dame d’Etang» est évoquée par Louis Bertrand dans la première préface de «Gaspard de la Nuit», dans des vers daté du 3 septembre 1827 ( publiés dans «Le Provincial» le 15 mai 1828, page 24, signés J. L. Bertrand sous le titre «Notre Dame de l’Etang» - Cargill Sprietsma « Œuvres Poétiques - La Volupté, p. 49/50), et dans un récit intitulé «Notre Dame d’Etang», a lui attribué par Jean Richer («La France littéraire» février 1833,V,p 406-410 H. H. POGGENBURG, OC p 453 ). Ce dernier texte est conforme à la légende locale.

Celle-ci veut qu’en 1435 - 1436, un bœuf, paissant un herbage toujours plus verdoyant sur la « montagne», soit à l’origine de la découverte après fouilles d’une statuette miraculeuse, vraisemblablement d’origine aragonaise, peut-être apportée en Bourgogne par l’Abbé de Saint Bénigne, Raymond (1233-1241), originaire d’Aragon.. De nombreux miracles s’ensuivirent ( guérisons multiples, enfant ressuscité (1648), paralysée guérie (1670), etc…) et un pèlerinage très fréquenté ( six mille personnes le 6 mai 1596 - Saint François de Sales et Jeanne de Chantal -1604, Louis XIV - 1650 ). En réalité ce pèlerinage est attesté dès 1372 par la visite de Philippe le Hardi.
De 1817 à 1848, le site devenu propriété privée, est peu fréquenté. Il faudra attendre le rachat de la chapelle de la «Montagne» par la paroisse de Velars en 1873 pour que l’abbé Javelle fasse édifier une nouvelle chapelle ( dans laquelle l’ancienne est intégrée ), surmontée d’une statue monumentale de la Vierge, dominant la vallée de l’Ouche.





Cet édifice, construit en pierres gélives, est fermé depuis l’an 2000 pour raisons de sécurité. Auparavant, la liberté d’accès avait permis bien des déprédations. A proximité, une croix en fer marque (?) l’emplacement de la découverte virginale.



Quant à la vierge miraculeuse, elle trône toujours dans une niche grillée de l’Eglise de Velars sur Ouche, généralement fermée, mais dont on peut demander la clé au secrétariat de la toute proche mairie.

La source Sainte Anne ( ou à la Sotte) sur le chemin processionnel :

"Saint-John Perse et quelques devanciers" - Monique Parent


" Le mot (poème en prose) apparait pour la première fois en 1791 sous la plume du publiciste Garat, qui juge les Ruines de Volney :"une espèce de poème en prose et de roman philosophique où la vérité est mêlée à la fiction" (Journal de Paris, 9-12-1791).Cette date est significative, elle cadre parfaitement avec les faits littéraires que nous venons de rappeler.


Mais le poème en prose ne prend une existence vraiment autonome qu'avec le "Gaspard de la Nuit" d'Aloysius Bertrand, cette suite d'évocations brèves, pittoresques, expressives, où l'auteur veut ressusciter l'atmosphère du Moyen-Age ou de la Renaissance comme les peintres flamands font entrer dans un tableau de petites dimensions toute l'atmosphère d'un pays et d'une époque. Cette oeuvre écrite vers 1830, éditée seulement douze ans plus tard, n'eut d'abord aucun succès malgré sa valeur artistique et l'énorme évènement littéraire qu'elle représentait ; il appartenait à Baudelaire de la tirer de l'oubli, d'en chanter les louanges, de lui donner une magnifique postérité en se déclarant le très humble imitateur du jeune poète mort de phtisie en 1841.


Relisons la préface du "Spleen de Paris" :"C'est en feuilletant pour la vingtième fois le fameux "Gaspard de la Nuit" d'Aloysius Bertrand ( un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n'a-t-il pas tous les droits à être appelé "fameux" ) que l'idée m'est venue de tenter quelque chose d'analogue et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'"une" vie moderne et plus abstraite, le procédé qu'il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque."

Les étuves de la Porte aux Chanoines


Pourquoi y-avait-il presse aux étuves de la porte-aux-chanoines ? Pierre Gras, auteur d'une "Histoire de Dijon", nous en donne une explication :

Au XVème siècle " la prostitution avait peut-être plus d'ampleur qu'à la fin du XIXème ou au début du XXème siècle. A la "maison des fillettes", propriété de la ville en 1417, imposante demeure comportant trois corps de bâtiments, qui recevait le tout-venant, s'ajoutaient à la fin du XVème siècle les sept étuves ( dont l'une était la propriété de l'évêque de Langres et une autre celle de l'abbé de Saint-Etienne ) que fréquentait une clientèle d'un milieu social souvent plus élevé et les filles "secrètes" ou "claustrières" qui travaillaient pour leur compte."
Pour Henri Chabeuf, il n'y avait à Dijon, au XVème siècle, que quatre maisons d'étuves : rue Vertbois, près la rue du Champs-de-Mars ( proximité rue Bouchepot) ; rue Chanoine, propriété de l'Abbaye de Saint-Etienne ; rue de la Liberté ( rue Saint Guillaume ) ; enfin les bains dits " de la Rochelle " ( nom dû à la proximité de la propriété d'un homme venu de La Rochelle ). Toutes ces maisons étaient établies sur le même modèle ; elles se cachaient au fond d'allées discrètes, avec issues sur des rues diverses.

Joseph Garnier, auteur d'une publication sur les "Etuves dijonnaises" en dit ceci : " Les bourgeoises ou femmes d'artisans, n'abordaient les étuves aux jours réservés qu'en grand nombre ou sous la garde de leurs maris. Les autres jours les étuves devenaient des lieux de plaisirs de toute sorte, quand cela ne descendait pas en lieux de prostitution. Quand baigneurs ou baigneuses, après avoir successivement passé de l'étuve au bain chaud, se reposaient sur des lits disposés dans les chambres de l'étage et se réconfortaient en buvant, à petit coup, des hanaps remplis d'un vin épicé, il arrivait souvent que l'établissement se changeait en salles de festins ; alors, selon l'énergique expression d'une contemporaine, " on oyait crier, hutiner, saulter tellement qu'on était étonné que les voisins le souffrissent, la justice le dissimulât et la terre le supportât."

Peut-être avons-nous réponse à la question.

Le manoir du sire de Vantoux



Le château de Vantoux, sur le chemin de la Source de Jouvence, au débouché du Val Suzon, a été bâti en 1704 par Jean de Berbisey, président à mortier. Il l'a légué, à sa mort (1756), au Parlement de Bourgogne pour servir de résidence d'été aux premiers présidents. Sa décoration a été remaniée et complétée sous Louis XVI.





"Les poètes misère" - Alphonse Séché


"Et c'est à l'hôpital encore que devait mourir l'original auteur de ce curieux livre : "Gaspard de la Nuit", Aloysius Bertrand.

Celui-là était de Dijon ; c'est dans cette antique cité des ducs de Bourgogne qu'il avait fait ses premières armes littéraires, ses études achevées. Déjà, il s'essayait à ces petites compositions à la manière de Callot, d'une originalité si forte et qui devaient avoir tant de succès plus tard lorsqu'il sera venu à Paris et qu'il les récitera à l'Arsenal, chez Charles Nodier.

Comme tant d'autres, il déserta sa province par ambition ; ses premiers succès, les encouragements qu'il recevait de Paris, de Hugo, de Nodier, de Louis Boulanger, d'Emile Deschamps, l'avaient enivré. Et il avait pris la diligence, un beau matin, pour courir après la fortune...Ce n'était point pourtant un audacieux, mais c'était un exalté, il portait en lui le feu sacré de l'idéal qui donne des forces aux plus faibles, du courage aux plus timides. Grand et maigre, le teint jaune et brun, les yeux noirs petits et très vifs, la physionomie narquoise et fine, un peu chafouine peut-être, avec ses gestes gauches, sa mise naïve et trop correcte, son défaut d'équilibre et son manque d'aplomb, il sentait son origine d'une lieue."

C'est ainsi qu'Alphonse Séché présente Louis Bertrand en le situant parmi les "autres", ayant laissé une trace. En effet, nombreux sont ceux qui, attirés comme lui par la gloire littéraire, seront étouffés par la maladie ou le poids de leurs protecteurs : Imbert Galloix (1807-1828), Auguste Le Bras (1811-1832) et Victor Escousse (1813-1832) - suicide commun par asphyxie, Emile Roulland (1802-1825), Hégésippe Moreau (1810-1838) : " Les vers à moins d'être signés Lamartine ou Hugo, n'ont aucun débit dans Paris. Un journal qui les insérerait en ferait plutôt payer l'insertion", Louis Berthaud (1810-1844), Jean-Pierre Veyrat (1810-1844), etc...

Mais parmi ces derniers, un seul a ciselé une forme nouvelle, originalité au coût défini par Marcel Proust : "Nous sommes très longs à reconnaître dans la physionomie particulière d'un nouvel écrivain le modèle qui porte le nom de "grand talent" dans notre musée des idées générales. Justement parce que cette physionomie est nouvelle nous ne la trouvons pas tout à fait ressemblante à ce que nous appelons talent. Nous disons plutôt originalité, charme, délicatesse, force ; et puis un jour nous nous rendons compte que c'est justement tout cela le talent". Le temps est parfois le prix de la consécration.

Le Manoir du Seigneur de Fontaine


Cette maison forte a été construite sur la butte de Fontaine, dans le cours du XI° siècle, sur instructions d'Eudes Ier, duc de Bourgogne, afin de surveiller la route de Paris par Chatillon sur Seine. Elle a eu pour seigneur Tescelin le Roux, époux d'Aleth de Montbard, qui lui donnera sept enfants, dont Bernard - le futur Saint-Bernard - né dans une salle basse du donjon. Aujourd'hui, en subsistent les seuls murs porteurs formant le carré natal devenu chapelle de Saint-Bernard, contiguë à la chapelle de la Vierge, toutes deux remarquablement décorées des blason et chiffre de Louis XIII et Anne d'Autriche. Le roi fera d'ailleurs du prieuré attenant un monastère royal dont il ne reste que la porte du cloître. A l'époque de Louis, la maison natale, laissée à l'abandon depuis la Révolution, faisait l'objet de restaurations (1821-1841).