La Complainte de Geneviève de Brabant



Dans "Un bibliophile", Louis évoque la "Complainte de Geneviève de Brabant" que voici :

Approchez-vous, honorable assistance
Pour entendre réciter en ce lieu
l'innocence reconnue et patience
De Geneviève, très aimée de Dieu ;
Etant comtesse
De grand'noblesse
Née du Brabant était assurément

Geneviève fut nommée au baptême ;
Ses père et mère l'aimaient tendrement ;
La solitude prenait d'elle-même,
Donnant son coeur au Seigneur tout-puissant
Son grand mérite
Fit la suite
Dès dix huit ans fut mariée richement.

En peu de temps s'éleva grande guerre ;
Son mari, seigneur du Palatinat,
Fut obligé, pour son honneur et gloire,
De quitter la comtesse en cet état,
Etant enceinte
D'un mois sans feinte,
Fait ses adieux, ayant les larmes aux yeux.

Il a laissé son aimable comtesse
Entre les mains d'un méchant intendant,
Qui la voulut séduire par finesse
Et l'honneur lui ravir subtilement ;
Mais cette dame
Pleine de charme
N'y voulut consentir aucunement.

Ce malheureux accusa sa maîtresse
D'avoir pêché avec son cuisinier ;
Le serviteur fit mourir par adresse,
Et la comtesse fit emprisonner ;
Chose assurée
Est accouchée
Dans la prison d'un beau petit garçon.

Le temps finit toute cette grand guerre.
Et le seigneur revint en son pays ;
Golo s'en fut au-devant de son maître
Jusqu'à Strasbourg accomplit son envie ;
Ce téméraire
Lui fit accroire
Que sa femme adultère avait commis.

Etant troublé de chagrin dans son âme,
Il ordonna à Golo, ce tyran,
D'aller au plus tôt d'aller faire tuer sa dame
Et massacrer son petit innocent,
Ce méchant traître
Quittant son maître,
Va, d'un grand coeur, exercer sa fureur.

Ce bourreau de Geneviève, si tendre,
La dépouilla de ses habillements ;
De vieux haillons la fit vêtir, et prendre
Par deux valets fort rudes et très puissants
L'ont emmenée
Bien désolée
Dans la forêt avec son cher enfant.

Geneviève, approchant du supplice,
Dit à ses deux valets, tout en pleurant :
"Si vous voulez me rendre un grand service
Faites-moi mourir avant mon cher enfant,
Et sans remise
Je suis soumise
A votre volonté présentement."

La regardant, l'un dit : " Qu'allons nous faire ?
Quoi ! un massacre ! je n'en ferai rien ;
Faire mourir notre aimable maîtresse !
Peut-être un jour nous fera-t-elle du bien ?
Sauvez-vous dame
Pleine de charme
Dans ces forêts ; qu'on ne vous voie jamais".

Celui qui a fait grâce à sa maîtresse
Dit : " Je sais bien comment tromper Golo :
La langue d'un chien nous faut, par finesse
Prendre et porter à ce cruel bourreau
Ce traître infâme
Dedans son âme,
Dira : " C'est celle de Geneviève au tombeau".

Au fond d'un bois, dedans une carrière,
Geneviève demeura pauvrement,
Etant sans pain, sans feu et sans lumière,
Ni compagnie que son cher enfant ;
Tous les oiseaux chantent et la réjouissent,
L'accoutumant à leur aimable chant ;
Les bêtes farouches
Près d'elle se couchent
Divertissant elle et son cher enfant.

Voilà son mari qui est en grand-peine
Dans son château, consolé par Golo ;
Ce n'est que jeux, que festins qu'on lui mène,
Mais ces plaisirs sont très-mal à propos ;
Car dans son âme
Sa chère dame,
Ce châtelain pleure avec grand chagrin.

Jeus-Christ a découvert l'innocence
De Geneviève, par sa grand bonté :
Chassant dans la forêt, en diligence,
Le comte des chasseurs s'est écarté
Après la biche
Qui est nourrice
De son enfant, qu'elle allaitait souvent.

La pauvre biche se sauve au plus vite
Dedans la grotte auprès de l'innocent ;
Le comte, faisant aussitôt la poursuite
Pour l'attirer de ces lieux promptement,
Vit la figure
D'une créature
Qui était auprès de son cher enfant.

Aperçevant dans cette grotte obscure
Cette femme couverte de cheveux,
Lui demanda : " Qui êtes-vous créature ?
Que faites-vous dans ces lieux ténébreux ?
Ma chère amie
Je vous en prie
Dites-moi, s'il vous plait, votre nom.

- Geneviève, c'est mon nom d'assurance,
Née du Brabant, où sont tous mes parents ;
Un grand seigneur m'épousa, sans doutance,
Dans son pays m'emmena promptement ;
Je suis comtesse
De grand' noblesse ;
Mais mon mari fait de moi grand'mépris.

Il m'a laissée étant d'un mois enceinte,
Entre les mains d'un méchant intendant,
Qui a voulu me séduire par contrainte,
Et puis me faire mourir vilainement ;
De rage félonne
Dit à deux hommes
De me tuer moi et mon cher enfant."

Le comte, ému, reconnaissant sa femme
Dedans ce lieu, la regarda en pleurant :
"Quoi ! est-ce vous, Geneviève, chère dame ?
Pour qui je pleure il y a si longtemps ?
Mon Dieu ! Quelle grâce,
Dans cette place,
De retrouver ma très-chère moitié !

Ah ! que de joie ! Au son de la trompette
Voici venir la chasse et les chasseurs,
Qui reconnurent le comte, je proteste
A ses côtés et sa femme et son coeur,
L'enfant, la biche,
Les chiens chérissent ;
Les serviteurs rendent grâce au Seigneur.

Tous les oiseaux et les bêtes sauvages
Regrettent Geneviève par leur chant,
Pleurent et gémissent par leurs doux ramages
En chantant tous d'un ton fort languissant,
Pleurant la perte
Et la retraite
De Geneviève et de son cher enfant.

Ce grand seigneur, pour punir l'insolence
Et la perfidie du traître Golo,
Le fit juger, par très-juste sentence,
D'être écorché tout vif par un bourreau.
A la voirie
L'on certifie
Que son corps y a été jeté par morceaux.

Fort peu de temps notre illustre princesse
Resta vivante avec son cher mari,
Malgré ses chères et tendres caresses,
Elle ne pensait qu'au Seigneur Jésus-Christ ;
Dans sa chère âme
Remplie de flamme
Elle priait Dieu tant le jour que la nuit.

Elle ne pouvait manger que des racines
Dont elle s'était nourrie dans les bois :
Ce qui fait que son mari se chagrine,
Offrant toujours des voeux au Roi des rois.
Qu'il s'intéresse
De sa princesse
Qui suivait si austèrement ses lois.

"Puissant seigneur, par amour je vous prie
Et puisqu'aujourd'hui il nous faut quitter,
Que mon cher fils, ma douce compagnie,
Tienne toujours place à votre côté ;
Que la souffrance
De son enfance
Fasse preuve de ma fidélité".

Geneviève, à ce moment, rendit l'âme
Au Roi des rois, le Sauveur tout-puissant.
Benoni, de tout son coeur et son âme,
Poussant des cris terribles et languissants
Se jetant par terre
Lui et son père
Se lamentant, pleurant amèrement.

Du ciel alors sortit une lumière
Comme un rayon d'un soleil tout nouveau
Dont la clarté dura la nuit entière,
Rien apparut au monde de plus beau :
Les apuvres et les riches,
Jusqu'à la biche,
Tout a suivi Geneviève au tombeau.

Pour conserver à jamais l'innocence
De Geneviève accusée par Golo
La pauvre biche veut, par sa souffrance
Le prouver par un miracle nouveau
Puisqu'elle est morte,
Quoiqu'on lui porte,
Sans boire ni manger sur le tombeau."

Auteur inconnu - XII ème siècle.