Serge BOBROV - l'ami russe



Serge Pavlovitch Bobrov (1889-1971), poète, romancier, critique, traducteur de Voltaire, Stendhal, Hugo, etc..., théoricien du groupe futuriste " La machine centrifuge", au sein duquel débuta Boris Pasternak, éprouvait une véritable passion pour Aloysius Bertrand. Nombreuses sont les épigraphes tirées de "Gaspard de la Nuit" figurant dans son propre volume de poésies intitulé "Vertogradari nad lozami". Sa traduction de "Gaspard", bien que terminée en 1913, ne sera jamais publiée. Il restera cependant fidèle au souvenir de Louis : "On le connait peu, écrit-il. Mais ceux qui le connaissent, ceux qui s'occupent des problèmes du poème en prose et du vers libre, il est peu probable qu'ils l'oublient. C'est une petite fleurette, qui a poussé quelque part à côté d'un grand chemin, mais celui qui aime ce chemin ne l'oubliera pas."

Fernand RUDE, dans sa biographie "Aloysius Bertrand" (Poètes d'aujourd'hui.Seghers.1970) cite deux poèmes de Bobrov, que voici :


A la manière de Louis Bertrand


"Vous, pensées, vous êtes restées fidèles
A tout ce que l'instant somptueux a enchaîné,
Quand le rayonnant Novalis
Flattait notre destin par l'espérance.

Dorant négligemment les feuilles de papier,
Le rayon du couchant est venu chez moi
Et le regard sombrait dans la moiteur vespérale,
Dans sa charmante profondeur.

Les rayons jouaient et pourchassaient
L'onde embaumée,
Et mes doigts agiles caressaient
Mon nouveau jouet, -

Sur cet émail brillant -
Si alambiqué et si léger -
Des lys bourbonniens ne sont pas encore fanés
Les pétales argentés.

Les chères pages défilaient
Comme les heures de solitude,
Puis les oiseaux saluaient
Les premiers diamants de la rosée.

De la vie lente, sauvez-vous
Dans le temple patriarchal de la rime,
Vous, pensées, restez fidèles
A Novalis et aux pétales."



" Dans cette poésie, explique-t-il en note, "l'auteur a tenté d'appliquer l'astucieuse méthode de Bertrand, méthode d'une certaine action double, qui viole l'unité de temps et de lieu. Il est possible d'approfondir son idée. Et alors, elle deviendra plus élevée et héroïque". Bobrov rapproche "Gaspard de la Nuit" de toute une série d'oeuvres : les récits de Novalis, les "Contemplations du chat Murr" d'Hoffmann, "Aurélia" de Gérard de Nerval, les "Illuminations" de Rimbaud, "Solness le Constructeur d'Ibsen. " Chez Hoffmann, ce procédé est voulu et souvent il n'est pas dirigé vers un but lyrique ; chez Bertrand il est plus subtil" (Fernand Rude)



Bertrand disait...


"Bertrand disait que l'artiste
N'est qu'un pauvre copiste du Créateur...
Faut-il pleurer sur cette pensée ?
Aucune ne peut mieux consoler.

Si je suis bien une giroflée sur des ruines
(Cela aussi Bertrand l'a dit),
Le ciel prendra soin de moi
Et dans la vie je ne suis pas seul.

Alors mettons-nous à l'ouvrage
Devant la tombe des hommes les meilleurs ;
Les contours de leurs belles pensées
Illumineront notre grand jour ;

Comme une flamme tombera la foudre
Illuminant la vie par le travail -
Puis avec l'ampleur d'un son de cloches éclatera
Le tonnerre, de toute sa masse répandu -

Ensuite une verdure neuve se dressera
Dans une douce quiétude ;
Ce sera le repos de l'homme
Sur un lit bien mérité."