Editions de l'Odéon - Préface de Raymond Schwab - Miniatures d'André Hubert



L'édition illustrée la plus colorée :























Bourguignon



Louis était bourguignon, n’en déplaise à Cargill Sprietsma, non par assimilation comme l’écrira Sainte-Beuve mais par « surgeonnage » d’une vieille souche morvandelle nourrie de sphaignes parcourues de follets et d’antiques légendes éduennes . L’Etat-Civil l’affirme aux dépens des experts soutenant son origine lorraine. On peut en effet lire dans l’acte de mariage de Claude Denis Bertrand, grand-père du poète : «  L’an mil sept cent soixante trois le quatorze février après avoir publié les bans entre le sieur Denis Claude Bertrand, maréchal des logis au régiment du commissaire général..cavalerie, fils de Emilland Bertrant (sic), marchand en la ville de Saulieu, diocèse d’Autun et de défunte demoiselle Claudine Porcheron d’une part, et demoiselle Elisabeth Charlotte Noël, fille de défunt le sieur Nicolas Noël, marchand à Sorcy, et de dame Marie Anne Franchot de cette paroisse…. »ICI (page 39 fiançailles, page 40 mariage ) et dans son acte de décès : « Le 24 mars 1806 sont comparus devant nous les sieurs Claude Seguin Lainé, âgé de quarante sept ans, beau-frère du décédé et Jean René Bertrand, marchand, parent dudit défunt, tout deux demeurant à Saulieu, nous ont déclaré que le sieur Denis Claude Bertrand, maréchal des logis, commandant la gendarmerie impériale de la résidence de Saulieu, y demeurant, natif dudit Saulieu, âgé de soixante quatorze ans, époux de Melle Elisabeth Charlotte Noël, est décédé aujourd’hui à trois heures du matin à son domicile…» ICI (pages 528-529) . La famille Bertrand était donc depuis longtemps sédélocienne. L'indélicatesse de Georges, le père, né le 22 juillet 1768 à Sorcy (Meuse) - pas à Saulieu (Henri Corbat) - "fils légitime de Denis, Guy, Claude Bertrand, marchand, et d'Elisabeth, Charlotte Noël" de la paroisse de Sorcy, baptisé le lendemain avec pour parrain Georges Geuble et marraine Françoise Noël, n'y change rien. Bien sûr, Louis était lui-même mâtiné lorrain et piémontais, mais quel plaisir, malgré la lourdeur, de prononcer ce nom à la bourguignonne : Beurtrrand (proche de Bretrrand).




P. S. : Les actes sont "en ligne" sur les sites des archives départementales de la Meuse et de la Côte d'Or

On y trouve aussi la déclaration du décès de Jeanne Bertrand, née à Saulieu ("il y a environ soixante douze ans") d'Emiland Bertrand et de Claudine Porcheron, faite le 13 nivôse de l'An XIII par Denis Claude Bertrand, son frère, lui-même natif de Saulieu -comme précédemment indiqué ; et celle du décès d'Elisabeth Catherine Bertrand (24 janvier 1812)née de Denis Claude Bertrand et d'Elisabeth, Charlotte Noël, faite par Jean René Bertrand ( à la signature toujours stylisée ), lui-même frère de François Bertrand, né à Saulieu, boulanger, décédé à Saulieu le 17 Germinal An XIII. Quant à Claude Seguin, aubergiste, il était époux de Françoise Bertrand, soeur de Denis Claude,née à Saulieu et décédée le 4 août 1812, à l'âge de soixante deux ans.

Nota : la famille résidait rue Saint Saturnin (actuelle rue Danton). La Gendarmerie était construite sur le terrain du couvent des Capucins, maintenant délimité par les rues Danton, Carnot et la ruelle Ecornée, à Saulieu.

Pourquoi lui ?



On m’interroge souvent sur les motifs de mon attachement à un poète dont la notoriété est quasi circonscrite à une nébuleuse universitaire. Pourquoi un béotien des lettres se passionne-t-il pour Louis Bertrand, inconnu du dijonnais lambda, au point de collectionner assidûment « Gaspard de la Nuit » et autres textes les concernant ? Trois raisons, plus sentimentales que littéraires :


D’abord, partager le même territoire, physique et historique, créé une intimité personnelle stimulant les champs perceptifs. On sent plus qu’on ne sait mais l’intuition forge une forme de complicité malicieuse permettant de déceler des détails invisibles à l‘œil étranger. Etre sur la  faille des rochers de Chèvremorte (au «For(um) aux fées ») ou à « la roche à la Bique »(rendez-vous des sorciers) au-dessus de Plombières(1), face au Mont Blanc, par delà la plaine de la Saône(2),c’est mieux saisir le concret et le travail de composition mentale d’un paysage abstrait utilisant cependant maints éléments identifiables sur le terrain ou conformes aux traditions et légendes locales. L’ermite du poème et son « désertum »(3) ont existé, tout comme les colombes -nos fées- dont l’absence désenchante le site bucolique de leur propre fontaine. C’est d’ailleurs une approche préconisée par Louis dans son avis de parution de « Gaspard de la Nuit » :« Nous nous empressons d’annoncer la prochaine publication d’un livre…qui… se recommande aux lecteurs bourguignons par l’intérêt local de plusieurs des situations qu’il renferme ». Le « pays » bénéficie, en effet, chez un poète tel que lui, de cette voie d’accès supplémentaire à l'intelligence de l’ensemble d'une œuvre toute de tableautins pittoresques, de miniatures enluminées et pierreries éminemment chatoyantes.


Ensuite, comment ne pas éprouver de sympathie pour cet orgueilleux, portant cape et sûrement chapeau, « doué d’une imagination ardente, d’un caractère bizarre et inégal, le cerveau sans cesse en ébullition »(4) qui, au temps du « Patriote de la Côte d’Or », se lancera dans des charges sabre au clair pour défendre un idéal politique lui donnant des bouffées d’enthousiasme romantique? « Marginal » social, économique et provincial (5) , « d’une sensibilité excessive, irritable, morose, insociable, effarouché de son ombre, mécontent de lui, injuste envers les autres » (4), « radicalement incapable pour le matériel »(6), trop fier pour être un lierre circonvenant un tronc et enfourchant parfois quelque rossinante boiteuse, il était fondamentalement sincère , loyal, poète, et logiquement inaccessible aux jugements péremptoires.(7).


Enfin, il est un magicien, un merveilleux illusionniste. « Gaspard de la Nuit » est tout entier une bamboche (8) dont il tire subtilement les fils : « Hum ! Hum ! - schup! schup! - coucou! coucou! » - je suis là…, regardez-moi …; essayez de le saisir, il s’est déjà dérobé, comme « Ondine », « Jean des Tilles » ou les tirelaines échappés à travers la rivière. Peut-être même n’a-t-il jamais été qu’une apparence car le poète est le diable et le diable n’existe pas ; la preuve : c’est lui-même qui l’affirme. Alors, dans « Gaspard de la Nuit », il convient toujours de se méfier : les pierres y sont moins solides que les rêves et les ombres agitées pas nécessairement l’exacte projection des mouvements du modèle. Préfaces et poèmes, composés de touches inspirées de sources multiples, mêlant savamment lieux, époques et symboles, recèlent nombre de subterfuges et chausse-trapes qui ne sont, peut-être, ni subterfuges ni chausse-trapes. Il revient à chacun d’en apprécier tout en continuant d'admirer à l'infini les couleurs mobiles de ce kaléidoscope (9) unique en son genre.


Voilà donc, en quelques mots, fort éloignés des commentaires érudits, la réponse à l’interrogation qui m'est habituellement adressée. Peut-être est-elle insatisfaisante, sur le fond et dans la forme, mais elle est mienne. Et même dans l’erreur, je persisterai à recommander Louis au lecteur, simplement parce qu’il est lui et que je suis moi.


*


1- le premier titre du poème est « sur les rochers de Plombières ».
2- le Mont Blanc s’y aperçoit parfois, à l’œil nu.
3- « le Désert » - « Figures » n° 25 - Université de Bourgogne - article de Gérard Taverdet.
4- Frédéric Bertrand, cadet de Louis.
5- Max Milner.
6- Théophile Foisset
7- parfois qualifié de"raté", de "petit romantique" alors même que son évidente marginalité eut dû le dispenser des comparaisons.
8- Grande marionnette.
9- Michel Manoll.