Charles BRUGNOT - un ami



Jean-Baptiste-Charles Brugnot, né à Painblanc, arrondissement de Beaune, le 26 vendémiaire an VII ( 17 octobre 1798 ) de Jean-Baptiste Brugnot, précepteur, et de Reine Jobard a fait ses études au collège de Beaune. Ayant perdu son père en 1818, il fut successivement professeur aux collèges de Cluny, Compiègne et Troyes. Atteint par la maladie du siècle, la phtisie, il dut quitter l’enseignement et devint directeur du journal « Le Provincial » en lieu et place de Louis, gestionnaire incompétent ( « Bertrand encore une fois ne te sera bon à rien. C’est la plus haute incapacité administrative qui se puisse concevoir » lettre de Foisset à Brugnot du 13 mai 1828 ). Auteur d’une traduction remarquée de l ‘ « Eloge de la folie » d’Erasme, il sera reçu le 6 janvier 1829 à l’Académie de Dijon. Vers la même époque il acheta l’imprimerie Odobé ( devenue aujourd’hui l’imprimerie Darantière - tirages de « Pléiade » Gallimard ) et fonda la feuille « Le Spectateur ». Il est mort de sa maladie de poitrine le 11 septembre 1831 à Dijon. Sa veuve, Lazarine Vauchet , passée directrice de l’imprimerie, fera paraître un volume de ses poésies en 1833.

Charles Brugnot, fier et mélancolique, souvent grognon, est cependant demeuré proche de la famille Bertrand, notamment pendant le séjour de Louis à Paris de novembre 1828 à fin mars 1830. Il visitait Laure et Elisabeth, servait d’intermédiaire aux uns et aux autres, pressait parfois Louis d’accepter un poste, l’invitait à revenir à Dijon. A son retour, l’orgueil fit des distances que la mort n’effaça pas tout à fait.



l'église de Painblanc



INVOCATION


Oh ! Viens t’asseoir aux lieux déserts,
Sauvage muse des vallées !
Ploie ici tes voiles ailées,
Et chante-moi tes derniers airs.

Avant que l’autan monotone,
Comme un loup hurleur dans les bois
Mugisse avec ses mille voix,
Chante-moi ta chanson d’automne.

Le vallon garde encor des fleurs ;
La forêt qui se décolore,
Cache sous la feuillée encore
Les longs cris des merles siffleurs.

Aux rayons du soleil qui tombe,
La crécelle aigre du grillon
Réjouit encore le sillon,
Mais demain….sa muette tombe…

Fille des champs, n’aimes-tu pas ?
A venir parfois, sans compagne,
Admirer, brillant sous tes pas,
Le frêle œillet de la montagne ?

A voir, au coteau, se dresser
Le buis massif en sombres gerbes,
Et le monde chauve balancer
L’épi fané des hautes herbes ?

Oh ! Viens là, sur le rocher nu
Essayer tes divins préludes !
Charme-moi d’un hymne inconnu,
Enfant plaintif des solitudes,

Fée aux yeux bleus, qui vas cacher
Des voix magiques et lointaines,
Parmi les mousses du rocher
Et dans la grotte des fontaines.

Au val de Gouville, octobre 1828.



Gouville



LE FOLLET DE SAINT BENIGNE


Le Follet qu’autrefois on voyait se percher,
Rouge comme une flamme, ou blanc comme un cigne,
Près du coq d’or, qui vire au bout du haut clocher,
Sur la flèche de Saint Bénigne,

Il m’a dit, cette nuit, le magique Lutin
Qui prête à l’airain sourd ses voix mélancoliques,
Et tantôt réjouit d’un murmure argentin
Le vieux chêne des basiliques :

« Bonjour, voisin, bonjour ! - Pour toi je sonnerai
Les heures et les quarts ( Dors ou veille, n’importe)
Les jours qui s’en vont lents, boiteux, l’œil éploré,
Et ceux que l’allégresse emporte.

Tiens ! Vois, à ce cadran imprimé dans sa main,
Une !…Douze !… - As-tu lu la courte page entière ?
Là, se brise sans fin le flot du genre humain !
Elle est là ton heure dernière !

Et je veux la sonner moi-même. - Un mardi soir
Entendra mon clocher, au bourdon lourd qui pleure,
Chanter, chanter pour toi, raidi sous le drap noir,
L’heure qu’on dit la dernière heure !

Tais-toi, Follet Esprit, tais-toi ! - L’heure d’adieu, -
Cet écueil redouté que n’évite personne, -
Où l’âme palpitante échoue aux pieds de Dieu,
Follet, n’importe qui la sonne ;

Mais avant, mais avant - Oh ! Laisse-moi compter
A ton cadran fatal encor quelques années ;
Quelques-uns des momens, si prompts à nous quitter,
Qu’on appelle heures fortunées !

Heures de voluptés et d’extase et d’oubli
Où mon âme n’a plus d’oreille pour la terre,
Quand la muse, le soir, brûle mon front pêli
De son baiser de vierge austère ;

Heures de paix, toujours douces au souvenir,
Quand mes enfants, bercés sur leur mère qui joue,
Essuient en leurs yeux bleus, trop prompts à se ternir
La larme qui fuit sur leur joue ;

Ou, que mon bons amis, qui sont mon univers,
Autour de mon foyer, leur journée achevée,
Perdent pour moi leur veille à me causer de vers
Et de gloire longtemps rêvée.


Dijon, 3 décembre 1829



Saint-Bénigne