Eaux-Fortes - Paul Verlaine


Verlaine n'a pas cité Louis Bertrand parmi ses "Poètes maudits", mais ne l'a-t-il pas salué, à sa manière, par ses "Eaux-Fortes", certes dédiées à François Coppée ( auteur, entre autres, d'un conte prenant pour sujet la découverte d'un exemplaire de "Gaspard de la Nuit" par un bibliophile ), mais bien " dans l'idée de " ? En voici deux exemples que l'on peut rapprocher notamment du "Clair de Lune" ( "Le chien avait enfilé une venelle, devant les pertuisanes du guet enrouillé par la pluie et morfondu par la bise " ).



CROQUIS PARISIEN


La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fumée en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.

Le ciel était gris. La bise pleurait
Ainsi qu'un basson.
Au loin, un matou frileux et discret
Miaulait d'étrange et grêle façon.

Moi, j'allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l'oeil clignotant des bleus becs de gaz."



EFFET DE NUIT


La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette
De flèches et de tours à jour la silhouette
D'une ville gothique éteinte au lointain gris.
La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris
Secoués par le bec avide des corneilles
Et dansant dans l'air noir des gigues nonpareilles,
Tandis que leurs pieds sont la pâture des loups.
Quelques buissons d'épine épars, et quelques houx
Dressant l'horreur de leur feuillage à droite, à gauche,
Sur le fuligineux fouillis d'un fond d'ébauche.
Et puis, autour de trois livides prisonniers
Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers
En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,
Luisent à contre-sens des lances de l'averse.

Edition du "Mercure de France" - 1895.


Première édition du "Mercure de France" - Réimpression de l'édition d'Angers de 1842 - 250 pages - Pas d'illustrations. Trois cents exemplaires.