Edition " Le livre et l'estampe" - Introduction de S. de Pierrelée - Illustrations J Fontanez - 1903


"Cette édition de l'oeuvre de Louis Bertrand est la troisième qu'on offre au public. La première, celle que donna à Dijon, M. Victor Pavie voici soixante ans, fut au dire de l'éditeur un des plus beaux désastres de la librairie contemporaine. Pendant de nombreuses années ce bel in-octavo, broché de vert, couleur pourtant d'espérance, traîna les étalages des bouquinistes, voire même les boîtes - ces cimetières de livres - aux parapets des quais.

Pui un beau jour on s'aperçut que ce nom inconnu, était celui d'un maître, que ce volume dédaigné était un pur et précieux chef d'oeuvre, on l'acheta. Il était trop tard ; ce livre dispersé, déchiré, à moitié détruit devint du coup "rare et précieux", comme on dit en terme de bibliophilie et de quatre sous il monta à quatre louis. (... /...)

Ces pages d'ailleurs suffisent à présenter Louis Bertrand, elles sont parfaites, il ne peut venir à quiconque l'idée qu'un seul mot soit à reprendre et à corriger. C'est son oeuvre, comme l'a écrit Sainte-Beuve, d'imagier, d'orfèvre, d'émailleur, c'est d'une ciselure poussée à la suprême perfection. (.../...)

Il incarne aussi absolument que possible, plus que bien d'autres mieux connus, un des chefs principaux de l'école romantique dont Hugo fut le Dieu et dont le but était : rénovation du style, refonte complète des expressions, des termes, des mots, des moyens d'expression de la pensée humaine.

Il ne fut pas un bruyant, un robuste combattant, ce ne fut pas un sans-culotte de cette révolution littéraire, mais il fut un habile, un délicat, il ne bouscula pas la grammaire pour la rénover, il l'enjoliva très gracieusement, exquisement.

Il pesa comme nul autre ses mots, il sut à chacun donner sa signification, à la fois exacte et complète, en ne l'embrouillant pas d'adjectifs, en ne l'empêtrant pas de qualificatifs, en le choisissant assez clair et précis, pour dire à lui seul tout ce qui devait être dit.

Il a des phrases de trois mots qui valent un long discours comme dirait un Boileau de nos jours, parce que ses mots sont si bien choisis, si bien accouplés qu'ils forment image, précise et juste."

Des illustrations de J. Fontanez



"Ma chaumière"


"La cellule"


"Les grandes compagnies"


"Les flamands"


"La salamandre"


"Un rêve"


"Le nain"


"La sérénade"



"L'office du soir"


"Le raffiné"


" La Tour de Nesle "


" Le falot "


"Les deux juifs"


"Départ pour le sabbat"


"Le marchand de tulipes"


"Harlem"


Jacques Callot

"Le poème en prose de Baudelaire jusqu'à nos jours "- Suzanne Bernard



A propos de Louis Bertrand et de "Gaspard de la Nuit" :

"Etrange revanche posthume ! L'oeuvre au cours des années cheminait, se propageait de façon presque souterraine, fécondait au passage les obscures vélléités d'un Baudelaire, d'un Lautréamont, d'un Mallarmé, obtenait enfin de la part des critiques modernes une véritable consécration : certains allant jusqu'à donner à Bertrand une place de choix au firmament poétique, non comme simple satellite des poètes romantiques, mais comme précurseur (avec Nerval et Baudelaire) de l'"alchimie lyrique".Et sans doute Aloysius Bertrand n'avait pas mérité ni cette indignité ni cet excès d'honneur. Est-il besoin de dire qu'il n'est comparable ni à un Nerval, ni à un Baudelaire ? Je crois toutefois que "Gaspard de la Nuit" restera, suivant l'expression de R. Schwab (dont la belle étude le replace définitivement parmi les précurseurs de la poésie moderne)"une articulation éternelle de l'histoire littéraire " : et cela précisément parce qu'il y a une poésie de la prose qui commence à Gaspard, parce que Bertrand est le véritable créateur ( et ce point n'a jamais, je crois, été contesté) du poème en prose, comme genre littéraire.L'originalité de Bertrand éclate, quand on compare ses "ballades" à celles que publient alors les keepsakes romantiques : plus de phraséologie pompeuse, plus de pseudo-hellénisme, ni d'exotisme de commande ; mais un pittoresque particulier, très personnel, et servi par une technique très poussée de la phrase en prose. Bertrand, c'est indéniable, a voulu écrire des poèmes, et non de la prose plus ou moins rythmée (juste avant sa mort, écrivant à son éditeur, il lui recommande de blanchir comme si le texte était de la poésie" ; et il poussait même le scrupule jusqu'à vouloir supprimer, comme de caractère trop anecdotique, les chroniques de Gaspard. Il faut lui savoir gré d'avoir vu que ce genre nouveau réclamait des règles nouvelles, et qu'il ne suffisait pas de décalquer des tournures dites poétiques, ou d'imiter certaines cadences du vers pour faire un poème en prose - d'avoir pris, d'autre part, la géniale initiative de remplacer la ballade exotique, la pseudo-traduction, par la ballade médiévale et fantastique qui, tout en dépaysant le lecteur dans le temps, cette fois, et non plus dans l'espace, garde une saveur autochtone et trouve ses racines dans l'âme même de l'auteur."

"A Rebours" - J. K. Huysmans



"De toutes les formes de la littérature, celle du poème en prose était la forme préférée de des Esseintes. Maniée par un alchimiste de génie, elle devait, suivant lui, renfermer dans son petit volume, à l'état d'of meat, la puissance du roman dont elle supprimait les longueurs analytiques et les superfétations descriptives. Bien souvent, des Esseintes avait médité sur cet inquiétant problème, écrire un roman concentré en quelques phrases qui contiendraient le suc cohobé de centaines de pages toujours employées à établir le milieu, à dessiner les caractères, à entasser à l'appui les observations et les menus faits. Alors les mots choisis seraient tellement impermutables qu'ils suppléeraient à tous les autres ; l'adjectif posé d'une si ingénieuse et d'une si définitive façon qu'il ne pourrait être légalement dépossédé de sa place, ouvrirait de telles perspectives que le lecteur pourrait rêver, pendant des semaines entières, sur son sens, tout à la fois précis et multiple, constaterait le présent, reconstruirait le passé, devinerait l'avenir d'âmes des personnages, révélés par les lueurs de cette épithète unique.

Le roman, ainsi conçu, ainsi condensé en une page ou deux, deviendrait une communion de pensée entre un magique écrivain et un idéal lecteur, une collaboration spirituelle consentie entre dix personnes supérieures éparses dans l'univers, une délectation offerte aux délicats, accessible à eux seuls.

En un mot, le poème en prose représentait pour des Esseintes, le suc concret, l'osmazome de la littérature, l'huile essentielle de l'art.


Cette succulence développée et réduite en une goutte, elle existait déjà chez Baudelaire, et aussi dans ces poèmes de Mallarmé qu'il humait avec une si profonde joie."



Pas un mot à ajouter ou retrancher, Baudelaire et Mallarmé, revendiquant tous deux Louis Bertrand pour modèle, Huymans le plaçant lui-même en tête de son anthologie personnelle : " Cette anthologie comprenait un selectae du "Gaspard de la nuit" de ce fantasque Aloysius Bertrand qui a transféré les procédés du Léonard dans la prose et peint, avec ses oxydes métalliques, des petits tableaux dont les vives couleurs chatoient, ainsi que celles des émaux lucides."

Scarbo








"Oh ! que de fois je l'ai entendu et vu, Scarbo, lorsqu'à
minuit la lune brille dans le ciel comme un écu d'argent sur
une bannière d'azur semée d'abeilles d'or !

Que de fois j'ai entendu bourdonner son rire dans l'ombre
de mon alcôve, et grincer son ongle sur la soie des courtines
de mon lit !

Que de fois je l'ai vu descendre du plancher, pirouetter
sur un pied et rouler par la chambre comme le fuseau tombé
de la quenouille d'une sorcière !

Le croyais-je alors évanoui ? le nain grandissait entre la
lune et moi, comme le clocher d'une cathédrale gothique, un
grelot d'or en branle à son bonnet pointu !

Mais bientôt son corps bleuissait, diaphane comme la cire
d'une bougie, son visage blémissait comme la cire d'un
lumignon, - et soudain il s'éteignait."






Edition Pincebourde 1868 - Introduction de Charles Asselineau - Frontispice de Félicien Rops.


"Une collection de Curiosités Romantiques devait être inaugurée par Louis Bertrand. Il représente en effet plus complétement, plus manifestement que nul autre, une des prétentions cardinales du programme de la révolution littéraire d'il y a quarante ans : innovation ou plutôt rénovation dans le style ; révision du matériel de l'art d'écrire et des moyens d'expression.

Il eut le don, - comme d'autres en ce temps-là eurent le don de la passion, de la véhémence et de la création poétique, - il eut le don de la délicatesse, de la finesse et de la justesse. Tandis que quelques-uns autour de lui, impatients et turbulents, violaient la langue et la brutalisaient, lui, il l'étudia sérieusement, patiemment et savamment, pesant les mots, remontant au sens propre de chacun, révisant les associations, les rapports, rajustant les images.

Le premier, il eut le sentiment de l'importance des mots et de leur valeur dans la phrase poétique. Et en cela il se rencontre avec le maître suprême des délicatesses, J. Joubert, qui dès l'aube du siècle, en 1805, en pleine logomachie et en pleine décadence de la poésie et des lettres, avait le courage de rappeler les poëtes à la précision et à la justesse".

Tels sont les premiers mots de l'introduction à l'édition Pincebourde de "Gaspard de la Nuit". Ils sont signés de Charles Asselineau et précédés d'un frontispice de Félicien Rops :




Notre Dame d'Etang



Notre Dame d’Etang» est évoquée par Louis Bertrand dans la première préface de «Gaspard de la Nuit», dans des vers daté du 3 septembre 1827 ( publiés dans «Le Provincial» le 15 mai 1828, page 24, signés J. L. Bertrand sous le titre «Notre Dame de l’Etang» - Cargill Sprietsma « Œuvres Poétiques - La Volupté, p. 49/50), et dans un récit intitulé «Notre Dame d’Etang», a lui attribué par Jean Richer («La France littéraire» février 1833,V,p 406-410 H. H. POGGENBURG, OC p 453 ). Ce dernier texte est conforme à la légende locale.

Celle-ci veut qu’en 1435 - 1436, un bœuf, paissant un herbage toujours plus verdoyant sur la « montagne», soit à l’origine de la découverte après fouilles d’une statuette miraculeuse, vraisemblablement d’origine aragonaise, peut-être apportée en Bourgogne par l’Abbé de Saint Bénigne, Raymond (1233-1241), originaire d’Aragon.. De nombreux miracles s’ensuivirent ( guérisons multiples, enfant ressuscité (1648), paralysée guérie (1670), etc…) et un pèlerinage très fréquenté ( six mille personnes le 6 mai 1596 - Saint François de Sales et Jeanne de Chantal -1604, Louis XIV - 1650 ). En réalité ce pèlerinage est attesté dès 1372 par la visite de Philippe le Hardi.
De 1817 à 1848, le site devenu propriété privée, est peu fréquenté. Il faudra attendre le rachat de la chapelle de la «Montagne» par la paroisse de Velars en 1873 pour que l’abbé Javelle fasse édifier une nouvelle chapelle ( dans laquelle l’ancienne est intégrée ), surmontée d’une statue monumentale de la Vierge, dominant la vallée de l’Ouche.





Cet édifice, construit en pierres gélives, est fermé depuis l’an 2000 pour raisons de sécurité. Auparavant, la liberté d’accès avait permis bien des déprédations. A proximité, une croix en fer marque (?) l’emplacement de la découverte virginale.



Quant à la vierge miraculeuse, elle trône toujours dans une niche grillée de l’Eglise de Velars sur Ouche, généralement fermée, mais dont on peut demander la clé au secrétariat de la toute proche mairie.

La source Sainte Anne ( ou à la Sotte) sur le chemin processionnel :

"Saint-John Perse et quelques devanciers" - Monique Parent


" Le mot (poème en prose) apparait pour la première fois en 1791 sous la plume du publiciste Garat, qui juge les Ruines de Volney :"une espèce de poème en prose et de roman philosophique où la vérité est mêlée à la fiction" (Journal de Paris, 9-12-1791).Cette date est significative, elle cadre parfaitement avec les faits littéraires que nous venons de rappeler.


Mais le poème en prose ne prend une existence vraiment autonome qu'avec le "Gaspard de la Nuit" d'Aloysius Bertrand, cette suite d'évocations brèves, pittoresques, expressives, où l'auteur veut ressusciter l'atmosphère du Moyen-Age ou de la Renaissance comme les peintres flamands font entrer dans un tableau de petites dimensions toute l'atmosphère d'un pays et d'une époque. Cette oeuvre écrite vers 1830, éditée seulement douze ans plus tard, n'eut d'abord aucun succès malgré sa valeur artistique et l'énorme évènement littéraire qu'elle représentait ; il appartenait à Baudelaire de la tirer de l'oubli, d'en chanter les louanges, de lui donner une magnifique postérité en se déclarant le très humble imitateur du jeune poète mort de phtisie en 1841.


Relisons la préface du "Spleen de Paris" :"C'est en feuilletant pour la vingtième fois le fameux "Gaspard de la Nuit" d'Aloysius Bertrand ( un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n'a-t-il pas tous les droits à être appelé "fameux" ) que l'idée m'est venue de tenter quelque chose d'analogue et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'"une" vie moderne et plus abstraite, le procédé qu'il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque."

Les étuves de la Porte aux Chanoines


Pourquoi y-avait-il presse aux étuves de la porte-aux-chanoines ? Pierre Gras, auteur d'une "Histoire de Dijon", nous en donne une explication :

Au XVème siècle " la prostitution avait peut-être plus d'ampleur qu'à la fin du XIXème ou au début du XXème siècle. A la "maison des fillettes", propriété de la ville en 1417, imposante demeure comportant trois corps de bâtiments, qui recevait le tout-venant, s'ajoutaient à la fin du XVème siècle les sept étuves ( dont l'une était la propriété de l'évêque de Langres et une autre celle de l'abbé de Saint-Etienne ) que fréquentait une clientèle d'un milieu social souvent plus élevé et les filles "secrètes" ou "claustrières" qui travaillaient pour leur compte."
Pour Henri Chabeuf, il n'y avait à Dijon, au XVème siècle, que quatre maisons d'étuves : rue Vertbois, près la rue du Champs-de-Mars ( proximité rue Bouchepot) ; rue Chanoine, propriété de l'Abbaye de Saint-Etienne ; rue de la Liberté ( rue Saint Guillaume ) ; enfin les bains dits " de la Rochelle " ( nom dû à la proximité de la propriété d'un homme venu de La Rochelle ). Toutes ces maisons étaient établies sur le même modèle ; elles se cachaient au fond d'allées discrètes, avec issues sur des rues diverses.

Joseph Garnier, auteur d'une publication sur les "Etuves dijonnaises" en dit ceci : " Les bourgeoises ou femmes d'artisans, n'abordaient les étuves aux jours réservés qu'en grand nombre ou sous la garde de leurs maris. Les autres jours les étuves devenaient des lieux de plaisirs de toute sorte, quand cela ne descendait pas en lieux de prostitution. Quand baigneurs ou baigneuses, après avoir successivement passé de l'étuve au bain chaud, se reposaient sur des lits disposés dans les chambres de l'étage et se réconfortaient en buvant, à petit coup, des hanaps remplis d'un vin épicé, il arrivait souvent que l'établissement se changeait en salles de festins ; alors, selon l'énergique expression d'une contemporaine, " on oyait crier, hutiner, saulter tellement qu'on était étonné que les voisins le souffrissent, la justice le dissimulât et la terre le supportât."

Peut-être avons-nous réponse à la question.