Aragon



Les hasards d'une manipulation et d'un signet abandonné - sûrement à dessein - m'ayant fait redécouvrir un texte de Thierry Roger citant largement Aragon ( extrait tiré de la revue EUROPE, n° 10, octobre 1946 - recueilli dans "Chroniques du bel Canto "  Les Editeurs Français Réunis - 1979, p 102-103), je ne résiste pas au plaisir de le faire partager ici :


"Plus que Rabbe pourtant c'est Aloysius Bertrand ( auquel Baudelaire se réfère en tête des Petits poèmes en prose), qui définit le poème en prose chez nous. Rabbe a trouvé le chant du poème en prose, mais le poème ( cette musique d'abord préludée, puis qui s'élève, et retombe, et s'éteint), le poème en prose en tant que poème, c'est chez nous à Aloysius Bertrand qu'il revient de lui avoir donné sa première forme, celle d'où sortiront et Baudelaire et Rimbaud ; et plus tard Reverdy, Max Jacob, Eluard. Savait-il ce qu'il faisait ? La littérature est pauvre qui le concerne. Il y a le risque qu'on ne voit en lui que ce fignoleur de tableautins qui en ferait plus le prédécesseur des Parnassiens que de Rimbaud. Sans doute a-t-il tout fait pour cela, ce poète de Bourgogne ; qu'on peut s'il le veut, réduire à cette ambition avouée d'avoir peint des scènes qui s'inspirent à la fois de Rembrandt et de Callot, mais qui est cependant l'inventeur de tout autre chose, d'une articulation du langage jamais avant lui rencontrée, d'une modulation du parlé qui ouvre l'ère de la musique savante. ( .../...)

Il n'y a pas de livre qui se lise avec plus d'étonnement, de désappointement voulu, que ce Gaspard de la Nuit, où Aloysius Bertrand semble toujours comme Jean des Tilles, l'eau chantante ou l'ablette, vous glisser dans les doigts. Pour la première fois, le poète semble parler d'ailleurs, et longtemps je me suis demandé pourquoi. Je me suis peu à peu assuré que ce dépaysement de la voix vient du fait qu'alors l'auteur se tenait en un lieu nouveau, étrange, étranger : il était au seuil du poème en prose, d'un poème à l'état naissant. Ce qu'il a écrit garde pour nous l'étonnement qu'il en eut, de l'audace tremblante qu'il éprouvait à ne pas rimer, à ne pas aller à la ligne, ou seulement au bout d'une strophe hérétique. La poésie de Gaspard de la Nuit, c'est celle d'une porte qui s'ouvre, d'un gond qui tourne, et il faut plaindre ceux qu'une porte qui s'ouvre a cessé d'émerveiller (.../...)"

Quant au commentaire éclairé de Thierry Roger, on peut le lire dans : "Un livre d'art fantasque et vagabond" Gaspard de la Nuit d'Aloysius Bertrand - Sous la direction d'André Guyaux - Editions Classiques Garnier - 2010.



Aragon


Michèle Reverdy



A l'instar de Maurice Ravel et Émile Vinteuil ( Cf "Association pour la Mémoire d'Aloysius Bertrand" - lien ci-contre ), Michèle Reverdy, élève d'Olivier Messiaen et Claude Baillif, a composé, sur les thèmes des poèmes " Les cinq doigts de la main" - " Les rochers de chèvremorte" et "La chanson du masque", une œuvre intitulée " Trois fantaisies de Gaspard de la Nuit". Alliant tradition et modernité, elle a su, me semble-t-il, mieux peut-être que les précédents, rendre compte de l'esprit bertrandien faisant de "Gaspard" une perpétuelle découverte. On peut apprécier ces compositions ICI