"Saint-John Perse et quelques devanciers" - Monique Parent


" Le mot (poème en prose) apparait pour la première fois en 1791 sous la plume du publiciste Garat, qui juge les Ruines de Volney :"une espèce de poème en prose et de roman philosophique où la vérité est mêlée à la fiction" (Journal de Paris, 9-12-1791).Cette date est significative, elle cadre parfaitement avec les faits littéraires que nous venons de rappeler.


Mais le poème en prose ne prend une existence vraiment autonome qu'avec le "Gaspard de la Nuit" d'Aloysius Bertrand, cette suite d'évocations brèves, pittoresques, expressives, où l'auteur veut ressusciter l'atmosphère du Moyen-Age ou de la Renaissance comme les peintres flamands font entrer dans un tableau de petites dimensions toute l'atmosphère d'un pays et d'une époque. Cette oeuvre écrite vers 1830, éditée seulement douze ans plus tard, n'eut d'abord aucun succès malgré sa valeur artistique et l'énorme évènement littéraire qu'elle représentait ; il appartenait à Baudelaire de la tirer de l'oubli, d'en chanter les louanges, de lui donner une magnifique postérité en se déclarant le très humble imitateur du jeune poète mort de phtisie en 1841.


Relisons la préface du "Spleen de Paris" :"C'est en feuilletant pour la vingtième fois le fameux "Gaspard de la Nuit" d'Aloysius Bertrand ( un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n'a-t-il pas tous les droits à être appelé "fameux" ) que l'idée m'est venue de tenter quelque chose d'analogue et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'"une" vie moderne et plus abstraite, le procédé qu'il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque."